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Le Fisc menace les fraudeurs de poursuites pénales

Laurent Lambrecht, 9 février 2018

C’est une annonce qui suscite pas mal de questionnements dans le milieu des fiscalistes et chez les contribuables concernés. Le ministre des Finances a fait savoir qu’il avait donné instruction à l’Inspection spéciale des impôts (Isi) d’inviter par courrier les Belges titulaires d’un compte à l’étranger non déclaré à régulariser leur situation.

En clair, ces contribuables seront invités à recourir à la procédure de régularisation fiscale permanente (la DLU-4) si le capital ou les revenus générés par ce capital n’ont pas subi leur régime de taxation normal. Faute de réaction, l’Isi devra dénoncer les contribuables récalcitrants aux parquets en vue de poursuites pénales.

Grâce à l’échange automatique d’informations fiscales qui a débuté l’année dernière sur base de la situation en 2016, le fisc belge en sait davantage sur les comptes logés à l’étranger que sur ceux détenus dans les banques belges. Le fisc connaît le montant placé par chaque contribuable à l’étranger, ainsi que les intérêts perçus, alors que ces données sont encore inconnues pour les comptes belges. Les enquêtes de l’Isi sont en cours en ce qui concerne les comptes luxembourgeois, et commenceront en septembre pour les comptes suisses.

Contrer la prescription fiscale

Grâce à ces informations, Johan Van Overtveldt veut inciter les contribuables à régulariser leurs capitaux non déclarés placés à l’étranger. Cette annonce a provoqué un gros débat dans le milieu des fiscalistes. Pour certains, il serait impossible de procéder à une régularisation après avoir reçu un courrier de l’Isi.

« Selon une interprétation de la loi, l’envoi d’une demande d’informations au contribuable rend l’introduction d’une DLU-4 impossible », explique Me Grégory Homans, avocat-associé au cabinet Dekeyser&Associés. « Une régularisation fiscale doit être spontanée, ajoute Sabrina Scarna, avocate chez Tetra Law. Je ne partage pas du tout l’interprétation du ministre des Finances et de l’administration fiscale. »

D’autres experts sont plus nuancés. « On pourrait avancer des arguments techniques pour défendre que l’envoi d’une invitation à régulariser ne constitue pas un acte d’investigation spécifique », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom Law et professeur de droit fiscal à l’Ulg. « D’un autre côté, l’envoi de ce courrier revient à donner une nouvelle chance aux fraudeurs invétérés, ce qui me paraît aller à l’encontre de l’esprit de la loi. Bref, c’est le flou artistique. Le risque existe qu’une régularisation, introduite après la réception de ce courrier de l’Isi, soit jugée sans effet. »

Que doivent faire les contribuables qui reçoivent un tel courrier ? Rappelons que l’administration fiscale n’a aucun pouvoir vis-à-vis du capital prescrit : la prescription a lieu après sept ans pour les revenus du travail, après dix ans pour les successions. En revanche, en cas de poursuites pénales, il n’y a pas de prescription. S’il est reconnu coupable d’actes de blanchiment, le contribuable risque la confiscation de l’ensemble de son capital.

« Le simple fait de disposer d’un compte à l’étranger ne signifie pas qu’on fait du blanchiment, précise Sabrina Scarna. En revanche, acheter une maison avec l’argent d’un compte à l’étranger ou vider ce compte avec des retraits en cash sont des actes de blanchiment. » Selon cette experte, Johan Van Overtveldt parie sur le fait que des contribuables ne voudront pas risquer un procès même s’ils n’ont pas commis d’acte de blanchiment. Le but est d’inciter les Belges concernés à procéder à une régularisation fiscale.

Le décès, arme d’optimisation fiscale ?

Il semblerait que régulariser sa situation soit donc la meilleure solution qui s’offre aux personnes qui veulent éviter le risque d’affronter un procès pénal. Ne pas toucher à son compte jusqu’à son décès pourrait aussi être une solution. « Si l’héritier n’est pas au courant que le compte du défunt a été alimenté avec des revenus non déclarés, il ne sera en principe pas passible de sanctions , explique Denis-Emmanuel Philippe . Bien sûr, il devra s’acquitter des droits de succession sur cet héritage . » Une autre échappatoire est d’ouvrir un compte dans le Delaware car les Etats-Unis ne participent pas à l’échange automatique d’informations fiscales. Mais il fallait fermer son compte luxembourgeois avant le 1er janvier 2016, et son compte suisse avant le 1er janvier 2017 pour rester sous les radars…

Les repentis fiscaux aussi dans le viseur

Johan Van Overtveldt a rappelé que la nouvelle procédure de régularisation fiscale imposait de régulariser les capitaux non prescrits ET prescrits. Or, on sait que le Point de contact régularisation a validé de nombreux dossiers ne portant que sur les revenus non fiscalement prescrits (à l’exclusion des capitaux fiscalement prescrits) dans le cadre des DLU2 et DLU3.

Ces personnes doivent-elles faire une nouvelle régularisation pour le capital prescrit ? « Je leur conseillerais de régulariser, le plus rapidement possible, les capitaux fiscalement prescrits, explique Denis-Emmanuel Philippe. Elles ont intérêt de se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites pénales avec, à la clef, une condamnation en raison des délits de blanchiment sous-jacents. »

Cette situation fait bondir d’autres avocats fiscalistes. « La DLU-2 ne permettait pas de régulariser le capital prescrit, s’emporte Sabrina Scarna. Je trouve scandaleux qu’on vienne embêter des gens qui ont fait le choix de régulariser leur situation alors qu’ils n’y étaient pas obligés. Les contribuables concernés ont fait confiance au législateur qui promettait une immunité pénale en cas de régularisation. »

Au fait, qu’entend-on par capital prescrit ? Monsieur Dupont a placé l’argent d’un héritage non déclaré sur un compte à l’étranger en 1980. Etant donné que le délai de prescription est d’environ dix ans en matière de droits de succession, le capital d’origine est considéré comme prescrit. En revanche, les revenus générés par ce capital d’origine (taux d’intérêts, dividendes…) sont considérés comme non prescrits s’ils ont été perçus au cours des sept dernières années, le délai de prescription légal dans ce domaine.

La DLU-2 ne prévoyait pas la régularisation des capitaux prescrits, mais uniquement des revenus du capital. La DLU-3 a introduit la possibilité de régulariser le capital prescrit, tandis que la DLU-4 a consacré l’obligation de régulariser ce capital prescrit.

Depuis toujours, certaines personnes comme Karel Anthonissen, l’ancien directeur de l’Inspection spéciale des impôts de Gand, estiment que les contribuables ayant réalisé des régularisations fiscales incomplètes (uniquement la partie non-prescrite) devraient être amenés à refaire une nouvelle régularisation, ou être poursuivis par le parquet. Certains bureaux d’avocats ont même recontacté tous leurs clients dans le cas pour les inciter à faire cette démarche.

« On ne peut plus se cacher en Suisse »

On ne peut plus se cacher en Suisse. C’est un cliché de dire que c’est une forteresse. La situation a définitivement changé au 1er janvier 2017, maintenant on vit avec. » Jan Langlo, directeur à l’ABPS (Association des banques privées suisses) n’est pas seul à tenir ce discours. Aucun autre banquier, qu’il soit basé à Genève ou à Zurich, ne dira autre chose, du moins officiellement.

C’est en octobre 2014 que la Suisse s’est engagée vis-à-vis de la communauté internationale à appliquer le standard d’échange automatique de renseignements (EAR) relatif aux comptes financiers en matière fiscale développé par l’OCDE.

Les banques sont tenues de communiquer l’existence des comptes ouverts par des non-résidents au fisc suisse, qui lui-même les transmettra au pays concerné. Si le titulaire du compte est une société, c’est à cette dernière à communiquer l’information. « Si la société ne le fait pas, c’est à la banque de le faire », explique Jan Langlo. A l’entendre, impossible de se cacher derrière une société. « En Suisse, cela fait 40 ans que la banque demande l’ayant droit quand c’est une entité juridique qui ouvre un compte. »

La Suisse estime donc ne plus être un paradis fiscal contrairement aux Etats-Unis. « Toutes ces mesures pour assurer un ‘level playing field’ dans l’application de l’EAR ne doivent pas faire oublier le trou béant dans sa couverture géographique : les Etats-Unis. FATCA (NdlR: règlement du code fiscal des Etats-Unis) n’oblige pas les banques américaines à regarder les structures juridiques en transparence, de sorte qu’il est facile d’éviter toute annonce. Pour que l’objectif de la lutte contre la soustraction fiscale soit atteint, il faut convaincre les Etats-Unis d’adhérer aussi au standard de l’OCDE. Tous ensemble ! », peut-on lire dans le rapport 2016 de l’ABPS. Ceux qui voulaient échapper aux indiscrétions du fisc n’auront donc pas attendu début 2017 pour transférer leurs avoirs outre-Atlantique.

Fraude fiscale grave : « La Belgique doit définir la fraude fiscale grave »

Des milliards bloqués ? Sabrina Scarna juge incompréhensible que la Belgique n’ait pas fixé des critères clairs distinguant la fraude fiscale grave de la fraude fiscale simple. Selon l’avocate, ce flou incite les banques à refuser le rapatriement de fonds placés à l’étranger. « Enormément de Belges ayant participé aux DLU 1, 2 et 3 ont préféré garder leurs fonds à l’étranger, ce qui est leur droit, explique-t-elle. Ceux qui veulent rapatrier cet argent aujourd’hui sont victimes de l’extrême prudence des banques. La loi prévoit qu’une institution bancaire est passible de poursuites pour blanchiment en cas d’acceptation de fonds issus d’une fraude fiscale grave. Faute de définition claire de la fraude fiscale grave, ces banques refusent le rapatriement de fonds de contribuables qui ont participé aux précédentes régularisations fiscales. Chaque semaine, je pourrais ramener 60 millions d’euros en Belgique s’il y avait une distinction claire entre la fraude fiscale simple et grave. » Grégory Homans estime que la Cellule de traitement des informations financières (CTIF) devrait clarifier la situation via une circulaire.

Source : La Libre 

 

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