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Wake-up call, le droit successoral change dans deux mois

Le grand public ne semble pas (encore) avoir pris conscience de l’impact potentiel de la réforme du droit successoral. Il reste peu de temps pour adapter si besoin sa planification. Avocats et notaires ont pointé des mesures qui concernent le plus grand nombre et d’autres qui visent des publics spécifiques, mais qui ont toutes leur importance.

Publié le 2 juillet 2018

L’impact potentiel de l’entrée en vigueur, à la rentrée, du nouveau droit successoral n’a pas vraiment fait tilt dans l’esprit des gens. Si certains prennent des dispositions dare-dare, c’est en général parce qu’un professionnel auquel ils ont confié la gestion de leur patrimoine — et de leur succession en particulier — s’est montré proactif. Pourtant, « il ne faut pas se laisser bercer par le courant, car le courant va changer », prévient l’avocat Vincent Wyart. « Et beaucoup risquent d’être surpris par l’ampleur des changements« , assure le notaire Gaétan Bleeckx.

À deux mois de l’échéance (1er septembre 2018), nous avons donc demandé à des avocats et des notaires de vous alerter une dernière fois avant que vous ne soyez emporté par la torpeur estivale. Car après, il risque d’être trop tard. Ces professionnels ont pointé des dispositions qui concernent vraiment le plus grand nombre aussi bien que des mécanismes pointus qui touchent des catégories plus ciblées mais qui ont toutes leur importance. Voici donc ce qu’il faut absolument retenir. Et vérifier pour adapter si besoin votre planification.

Modification de la quotité disponible: vérifiez votre testament!

« Le plus gros changement, celui qui concerne tout le monde, c’est la modification de la quotité disponible. Cela a un impact automatique sur les testaments qui ont déjà été rédigés« , met en garde d’emblée le notaire Gaétan Bleeckx.

« Le plus gros changement, celui qui concerne tout le monde, c’est la modification de la quotité disponible. » Gaétan Bleeckx Notaire

La quotité disponible, c’est la part de votre héritage que vous pouvez léguer à qui bon vous semble.

Avec la nouvelle loi, elle sera toujours équivalente à la moitié de votre patrimoine. Aujourd’hui, elle varie en fonction du nombre d’enfants que vous avez.

Imaginons donc la situation suivante, suggère-t-il. « Vous avez 4 enfants et vous avez décidé d’attribuer la quotité disponible à votre épouse. Aujourd’hui, elle a droit à un quart de votre patrimoine. Suivant la nouvelle loi, elle aura droit à la moitié, ce qui est susceptible

de modifier complètement l’équilibre familial. La seule situation où la nouvelle loi n’a pas d’incidence est si vous n’avez qu’un enfant car la quotité disponible est dans ce cas déjà égale à la moitié de votre patrimoine », clarifie le notaire.

Familles recomposées: procédure alourdie pour le pacte Valkeniers

« En cas de remariage et en présence d’enfants d’une première union, il est fréquent que l’on rajoute dans le contrat de mariage une clause Valkeniers. Cette disposition permet aux époux ou à l’un des deux de limiter son usufruit sur la succession du prémourant ou d’y renoncer totalement — à l’exception de son usufruit sur le logement familial et les meubles le meublant, explique le notaire Gaétan Bleeckx. Avec la nouvelle loi, un aménagement de ce type rentrera obligatoirement dans le cadre d’un pacte successoral qui implique un formalisme important ». « La procédure deviendra beaucoup plus lourde et plus longue », confirme Bérénice Delahaye, avocate au cabinet de Wilde & associés, invitant les couples intéressés à prendre leurs dispositions avant le 1er septembre.

L’impact de l’indexation lors du rapport

Suite à un décès, le notaire reconstitue le patrimoine du défunt. Il tient compte de ses possessions au jour de son décès mais également des donations qu’il a éventuellement effectuées de son vivant. Objectif: vérifier qu’aucun héritier n’a été lésé.

« Aujourd’hui, si vous avez fait des donations en pleine propriété de liquidités sans clause d’inaliénabilité, les règles prévoient le rapport du montant des liquidités au jour de la donation. La nouvelle loi, elle, prévoit une indexation du montant au jour du décès« , explique Bérénice Delahaye.

« L’indexation ne pose pas de problème en soi, estime Vincent Wyart, avocat au cabinet Van Gysel-Wyart. Le problème, c’est que la loi modifie le cadre dans lequel on a agi dans le passé en toute bonne foi. Faute de déclaration de maintien, l’intention d’égalité sera rompue ». Imaginons que des parents ont donné 100.000 euros à leur fille quand elle a acheté sa maison et qu’ils ont fait de même 5 ans après pour leur fils. « L’intention manifeste des parents était de traiter leurs deux enfants de façon identique. Mais comme ils n’ont pas reçu l’argent au même moment, la première donation (celle de la fille) sera indexée sur cinq années de plus… »

L’impact de la réserve d’usufruit lors du rapport

Une donation étant irrévocable, quand elle s’accompagne de charges (rente, usufruit), il peut être utile de prévoir une clause d’inaliénabilité. La donation est alors réalisée à la condition que le bénéficiaire s’engage à conserver le bien donné pendant une période déterminée. Par exemple, pendant la durée de vie du donateur qui sera ainsi assuré de toucher sa rente ou son usufruit.

Attention exception

Le rapport d’une donation avec réserve d’usufruit

En matière de rapport, la donation avec réserve d’usufruit constitue une exception dans la nouvelle loi.

Actuellement:

  • les biens mobiliers doivent être rapportés en valeur, à la date de la donation,
  • les biens immobiliers doivent être rapportés en nature au jour du décès.

À partir du 1er septembre 2018 tous les biens, quels qu’ils soient seront rapportés en valeur au jour de la donation indexée au jour du décès.

SAUF dans le cas d’une donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit ou avec clause d’inaliénabilité. Il sera tenu compte de la valeur au jour du décès (ou du jour où le donateur a abandonné son usufruit).

Mais en vertu du nouveau droit successoral, la valeur d’une donation sera toujours fixée au jour de la donation (indexée au jour du décès) SAUF dans le cas d’une donation avec une clause d’inaliénabilité, telle la donation de la nue-propriété avec une réserve d’usufruit pour le donateur. Il sera tenu compte de la valeur au jour du décès! Cela peut faire une différence.

Imaginons le cas d’une mère qui fait donation à chacun de ses enfants d’immeubles de valeur identique:

  • la fille reçoit la nue-propriété de l’habitation familiale, la maman s’en réservant l’usufruit (notamment pour s’assurer du droit de pouvoir l’occuper jusqu’à son décès)
  • le fils reçoit la pleine propriété de l’immeuble de rapport.

Si la maman décède à partir du 1er septembre 2018, la fille devra rapporter à la succession la valeur de l’habitation familiale au jour du décès (laquelle sera probablement plus élevée qu’au jour de la donation) tandis que le fils devra rapporter à la succession la valeur de l’immeuble de rapport au jour de la donation (indexée au jour du décès).

« Cette différence de valeur dans le cadre du partage successoral risque de créer une iniquité qui, à la base, n’était pas souhaitée par la maman », observe Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés.

La solution? « Faire les donations avant le 1er septembre en précisant qu’elles sont rapportables en nature à la valeur au jour du décès. Pour les donations faites après le 1er septembre, il faudra conclure un pacte successoral ponctuel dérogeant aux nouvelles modalités de rapport, ce qui supposera l’accord de la maman et des deux enfants. Un accord qui peut être difficile à obtenir si l’entente familiale n’est pas au beau fixe », prévient-il.

Donation des actions d’une société commerciale

Actuellement, la loi prévoit la possibilité de fixer la valeur des actions au jour de la donation pour le calcul de la réserve d’un héritier. C’est important car une société qui a une activité commerciale est susceptible de prendre (beaucoup) de valeur. Imaginons qu’un père fasse donation d’1 million d’euros actions de sa société à son fils et qu’au décès du père, les actions valent 3 millions d’euros! Si la valeur des actions a été fixée au jour de la donation, il ne sera pas tenu compte de cette augmentation de valeur. À l’avenir, il faudra cependant tenir compte de la valeur des actions données au jour du décès du défunt (si l’acte de donation prévoit une clause d’inaliénabilité) ou de la valeur des actions au jour de la donation indexée au jour du décès (si l’acte ne prévoit pas de clause d’inaliénabilité), met en garde Bérénice Delahaye! « Admettons que ce père souhaite que son autre enfant soit réduit à sa réserve, il a intérêt à faire la donation des actions de sa société avant le 1er septembre et à faire une déclaration de maintien », suggère-t-elle.

Et ce n’est encore rien en comparaison de l’impact qu’aura la réforme du droit successoral si le père a fait donation à son fils des titres de l’entreprise familiale en nue-propriété et s’en réserve l’usufruit pour pouvoir continuer à percevoir des dividendes.

Donc, si le père fait sa donation avec réserve d’usufruit après le 1er septembre, le fils devra rapporter les titres reçus à leur valeur au jour du décès. Soit 3 millions d’euros… au lieu de 1 million (au jour de la donation), alors que la prise de valeur représentera en partie le fruit du labeur du fils gratifié. Une situation clairement à son désavantage et dont profiteront alors ses éventuels frères et sœurs, observe Grégory Homans. Les solutions qu’il prône sont les suivantes:

  • faire donation des titres de l’entreprise avec réserve d’usufruit avant le 1er septembre et réaliser une déclaration de maintien.
  • ou, si la donation est faite après le 1er septembre 2018, convenir dans le cadre d’un pacte successoral que le fils rapportera les titres reçus à leur valeur au jour de la donation (alors indexée). « De cette façon, le fils ne sera pas tenu de rapporter la plus-value qu’il a lui-même donnée à l’entreprise, par son travail », note Me Homans.

L’usufruit continué

Actuellement, un époux/cohabitant légal qui a fait donation de biens qui lui sont propres à ses enfants, peut faire en sorte que son conjoint recueille l’usufruit de ces biens ou une rente via le rapport successoral (en valeur ou en nature), une opération qui n’est pas taxée.

« À partir du 1er septembre, le conjoint survivant ne bénéficiera plus du rapport successoral », prévient Bérénice Delahaye. Le nouveau droit successoral instaure la continuation de l’usufruit. Si le défunt avait fait de son vivant une donation avec réserve d’usufruit et qu’il était marié au moment de cette donation, l’usufruit qu’il s’était réservé sera transféré au conjoint survivant. Une disposition qui vise à protéger le niveau de vie de ce dernier. « Or, le traitement fiscal de l’usufruit continué n’est pas fixé… », observe l’avocate.

« Le rapport successoral permettait au conjoint survivant d’éviter tout impôt successoral sur l’usufruit, rappelle Gregory Homans. Concernant l’usufruit continué, la Flandre a déjà annoncé qu’il serait taxé aux droits de succession, tandis que les Régions wallonne et bruxelloise ne se sont pas encore prononcées clairement. Quant au législateur fédéral, il donnera prochainement une interprétation qui aboutira à l’exonération fiscale de l’usufruit continué… »

Le spécialiste suggère dans ce cas « de faire avant le 1er septembre une donation au profit de ses enfants en précisant qu’elle sera rapportable en nature au projet du conjoint survivant ». Mais que ceux qui ne seraient pas en mesure d’agir d’ici là se rassurent: « il est néanmoins possible d’organiser la donation pour permettre au conjoint survivant de recueillir l’usufruit en exonération d’impôt, même en Flandre. Cela passera par des charges, une clause d’accroissement, etc. »

Les droits héréditaires du conjoint survivant

« Derrière la réforme des régimes matrimoniaux — qui est censée entrer en vigueur en même temps que celle du droit successoral — se cache la réforme des droits héréditaires du conjoint survivant, observe Vincent Wyart. Mais le texte n’a pas encore été voté et risque de l’être durant les vacances. Il passera alors quasiment inaperçu.

Celui qui décéderait à partir du 1er septembre verra dès lors les droits de son conjoint survivant réglés par une législation qu’il n’aura pas pu anticiper!« .

« Si les droits du conjoint survivant en présence d’enfants restent identiques, ce n’est plus vrai quand il est uniquement en concours avec des frères/sœurs du défunt ou toute autre personne« .

Aujourd’hui, en cas de mariage et en l’absence d’enfant, le conjoint survivant doit parfois partager l’héritage avec de (lointains) parents du défunt. Il reçoit la pleine propriété des biens communs et l’usufruit des biens propres du défunt (sil est marié en communauté) et la nue-propriété de ces biens revient aux frères, sœurs, neveux, nièces, etc.

En vertu du nouveau droit successoral (en l’absence d’enfants communs) qui renforce la protection du conjoint survivant, ce dernier se voit octroyer une plus grande part de la succession en pleine propriété, et ce quel que soit le régime matrimonial. Et si le défunt ne laisse que des parents très éloignés (oncle, tante, cousin, cousine, qui relèvent du 4e ordre), le conjoint survivant héritera carrément de la totalité de la succession en pleine propriété.

« Dans le texte qui est soumis au législateur, en présence de frères/sœurs, neveux et nièces, le conjoint survivant reçoit l’usufruit des biens personnels du défunt, la pleine propriété de la part du défunt dans la communauté (cela reste inchangé) et si le couple est marié sous le régime de la séparation des biens, la pleine propriété de la part du défunt dans les biens indivis. Une personne qui décède après le 1er septembre et qui n’a pas fait de testament, pensant que ses frères et sœurs hériteraient de sa part va donc, sans doute sans le savoir, avantager nettement son conjoint survivant. »

D’où la nécessité réfléchir à ce qu’il adviendra de votre patrimoine, et le cas échéant de rédiger un testament. « Alors certes, on rétorquera que les personnes avec lesquelles on a un lien de parenté ténu héritent à des taux prohibitifs », mais autant savoir pour décider en toute connaissance de cause.

Source : L’Echo

 

Wake-up Call 02072018

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