Publié le 5 juillet 2025
Face à la nouvelle règle des 20%, comment les entreprises familiales peuvent-elles adapter leur structuration des parts pour ne pas pénaliser les actionnaires minoritaires lors d’une cession?
La réforme de la taxation des plus-values, récemment adoptée par le gouvernement fédéral, marque un tournant décisif pour les entreprises familiales belges.
De fait, en instaurant un régime d’exonération partielle réservé aux participations substantielles, la nouvelle mesure bouleverse les logiques de transmission patrimoniale des entreprises belges, fondées sur une détention fragmentée et souvent démembrée du capital entre membres d’une même famille.
Et pour cause. Si le dispositif annoncé prévoit une exonération allant jusqu’à un million d’euros, au-delà de laquelle s’applique une taxation progressive des plus-values (de 1,25% à 10%), deux conditions restrictives en limitent l’accès: le seuil des 20% doit être atteint par le seul cédant, cela sans tenir compte des membres de sa famille, et ce critère doit être observable au jour de la cession, sans référence aux dix années précédentes.
Concrètement, cela signifie que les actionnaires minoritaires, dont le seuil des parts est inférieur à 20%, ne bénéficieront que d’une exonération fiscale de 10.000 euros et qu’ils seront soumis à une taxe de 10% sur la plus-value réalisée.
Néanmoins, il existe, sous certaines conditions, des leviers d’adaptation pour que les actionnaires minoritaires bénéficient de cette exonération. Examinons-les de plus près.
1/ La donation ou le transfert des parts
Premièrement, il est possible de procéder à un transfert de parts entre membres d’une même famille.
En effet, dans une configuration familiale où les actions seraient réparties entre plusieurs héritiers, une piste envisagée serait de réorganiser la détention des titres avant l’entrée en vigueur de la réforme (que ce soit sous forme de donation ou de vente), de sorte que des actionnaires minoritaires puissent détenir au moins 20%, cela dans le but d’échapper à l’imposition.
Exemple
Une mère détient 70% d’une société familiale, et ses deux enfants possèdent chacun 15%. Si l’un des enfants souhaite vendre sa participation, il ne pourra pas bénéficier de l’exonération, faute d’atteindre le seuil de 20%. Une stratégie possible consisterait alors à transférer ses 15% à sa mère (ou à un autre membre de la famille dépassant déjà le seuil), avant le 1er janvier 2026.
Ce transfert pourrait se faire à un prix réel, avec éventuellement un mécanisme de complément de prix en cas de plus-value future.
Une méthode dont l’usage pourrait s’intensifier, comme le souligne Nicolas Chauvin, responsable estate planning chez Degroof Petercam: « Dans certaines familles qui flirtent avec le seuil de 20 %, on peut s’attendre à des réorganisations. Si cette loi passe en l’état – ce qui semble être le cas – on assistera à des mouvements pour faire en sorte que l’un des membres atteigne ou dépasse ce seuil. Cela pourrait se faire tant par des transferts de parts que par des réallocations d’actifs (bien immobilier, etc.)« , avance-t-il.
> À quoi devrez-vous être attentif?
Vous devrez tenir compte de la reconstitution de l’équilibre économique post-cession dans l’équation. Dans cette optique, comme le souligne Grégory Homans, « il est possible d’imaginer qu’une fois que la cession a été opérée, une partie du produit de la vente soit ensuite rétrocédée – sous une forme ou une autre – au membre ayant initialement cédé ses parts.
Cette opération suppose aussi une grande prudence: il faut éviter qu’elle soit considérée comme un abus fiscal, ce qui impliquerait de pouvoir démontrer une véritable logique patrimoniale ou familiale.
La société holding
Selon Me Grégory Homans, avocat fiscaliste, associé gérant du cabinet Dekeyser & associés, l’une des premières pistes à envisager, dans le cadre de la réforme de cette taxation applicable aux personnes physiques, consisterait à recourir à la création de sociétés holdings.
Concrètement, une société holding est une entité dont l’objet principal consiste à détenir des participations dans d’autres sociétés.
Ce mécanisme est particulièrement avantageux puisque, lorsqu’une société holding détient au moins 10% du capital de la société cédée (ou une participation d’une valeur d’acquisition d’au moins 2,5 millions d’euros), et ce, pendant au moins un an, la plus-value réalisée à la cession peut être exonérée de l’impôt des sociétés.
Par ailleurs, la holding offrira encore un cadre fiscalement avantageux, même si, par la suite, l’intention de l’actionnaire est de réinvestir les fonds dans une autre activité économique (acquérir une nouvelle entreprise, constituer un portefeuille de titres, financer un projet professionnel, etc.).
Exemple
Prenons l’exemple d’une fratrie de six enfants, chacun détenant 18% d’une entreprise familiale. Aucun ne dépasse individuellement le seuil des 20% requis pour bénéficier, en tant que personne physique, de l’exonération d’un million d’euros prévue dans la réforme. Si l’un d’eux revend ses titres après le 1er janvier 2026, la plus-value serait imposable selon le barème progressif introduit (jusqu’à 10%).
Une solution consisterait à ce que chacun constitue une société holding personnelle, à laquelle il apporte ses parts. Dès lors, la cession ultérieure serait effectuée non plus en nom propre, mais par l’intermédiaire de la holding, qui réaliserait la plus-value. Cette dernière ne tomberait pas dans le champ de la nouvelle taxe sur les plus-values applicable aux particuliers.
Ce mécanisme ne supprimerait pas toute imposition, mais en différerait les effets. Tant que la plus-value reste logée dans la société, aucune imposition immédiate ne s’appliquerait, si les conditions d’exonération à l’Isoc sont remplies. En revanche, si le bénéficiaire souhaite disposer personnellement des fonds, il devra sortir des fonds de la société à son profit. Le coût fiscal de cette sortie dépendra de la forme qu’elle adopte (distribution de dividendes, réduction du capital, etc.).
En effet, tant que les liquidités demeurent au sein de la société, aucune imposition ne sera prélevée, permettant ainsi une capitalisation intégrale de la plus-value en vue d’un réemploi.
> À quoi devrez-vous être attentif?
Premièrement, l’exonération ne s’appliquera que si la cession ne tombe pas dans un des cas d’exclusion prévus par la loi (participation passive, société non soumise à un impôt comparable, etc.).
Par ailleurs, cette structuration ne devra pas être motivée exclusivement par des considérations fiscales, et ce, afin de vous prémunir contre une éventuelle requalification au titre de la règle générale anti-abus par l’administration fiscale. Pour être défendable, elle devra s’inscrire dans une logique patrimoniale ou entrepreneuriale durable, soit centraliser la gestion d’un portefeuille de participations, organiser la transmission familiale, ou structurer des réinvestissements.
Le démembrement
Enfin, un autre mécanisme qui pourrait permettre de bénéficier de l’exonération est le démembrement de propriété, un dispositif souvent déployé dans les familles entrepreneuriales.
Il s’agirait ici de transmettre la nue-propriété (posséder un bien sans en avoir l’usage ni les revenus ) des parts aux enfants tout en conservant l’usufruit (utiliser un bien, en percevoir les revenus, mais ne pas en être propriétaire). Cette pratique permettrait alors au donateur de continuer à percevoir les revenus (dividendes) générés par la société, tout en anticipant la transmission de son patrimoine.
Il y a néanmoins une ombre au tableau… Le démembrement fait l’objet d’une zone grise dans l’application de la nouvelle taxe sur les plus-values. En effet, selon la version du texte que nous avons parcourue, c’est le nu-propriétaire qui est réputé, pour la contribution de solidarité, réaliser la plus-value en cas de vente des titres, et qui, à ce titre, serait redevable de la taxe.
« Mais une autre lecture vient nuancer ce texte, et c’est là que cela devient intéressant… » explique Gregory Homans. « Depuis la réforme du droit des biens entrée en vigueur en septembre 2021, l’usufruit peut être aménagé pour garantir à l’usufruitier de pouvoir vendre lui-même les titres démembrés et encaisser le produit de la vente, y compris la plus-value », détaille-t-il. Par ailleurs, ce droit lui est également reconnu au sein du nouveau code civil.
Autrement dit, c’est lui – et non le nu-propriétaire – qui signerait l’acte de cession et qui réaliserait concrètement l’opération économique. Cette situation soulève dès lors un paradoxe: si l’on se fie au texte, l’usufruitier percevrait l’argent, mais c’est le nu-propriétaire qui serait, selon la lettre du texte, imposé. Une incohérence que la réforme ne semble pas avoir clairement anticipée.
« Or, en Belgique, quand une loi fiscale n’est pas claire, c’est le droit civil qui l’emporte. On pourrait dès lors en déduire que si c’est l’usufruitier (par exemple, un parent) qui vend les actions et encaisse l’argent, c’est lui qui devrait logiquement payer l’impôt sur la plus-value, et non ses enfants nus-propriétaires », ajoute l’avocat.
Exemple
Prenons le cas de Monsieur L., entrepreneur et père de trois enfants. En 2025, il décide de donner la nue-propriété de ses actions à ses six enfants, tout en conservant pour lui l’usufruit. Cela signifie que les enfants deviennent juridiquement propriétaires des actions, mais que Monsieur L. continue à percevoir les dividendes et à exercer les droits de vote, tant qu’il conserve l’usufruit.
En 2026, il souhaite vendre ses parts. C’est lui qui signe l’acte de vente, encaisse l’argent, et réalise la plus-value. Or, selon la lettre de la réforme, c’est le nu-propriétaire (donc ses enfants) qui devrait payer l’impôt sur la plus-value. Pourtant, ce ne sont pas eux qui touchent l’argent. D’où l’incohérence.
Mais comme le projet de loi ne prévoit pas de dérogation claire au droit civil, on peut considérer que Monsieur L. est, en réalité, celui qui doit être taxé. Et dans ce cas, le seuil des 20% (qui donne droit à l’exonération d’un million d’euros) serait évalué dans son chef, même si ses enfants ne détiennent chacun que 10% ou moins.
Ainsi, un parent ayant transmis la nue-propriété de ses parts à ses enfants tout en conservant 100% de l’usufruit pourrait, en cas de vente, bénéficier personnellement de l’exonération d’un million d’euros, même si les enfants nus-propriétaires ne détiennent individuellement que des participations inférieures au seuil requis.
> À quoi devrez-vous être attentif?
À noter que tout dépendra de l’évolution du texte législatif… « Il faudra en effet être attentif à ce que dira le Conseil d’État, et si le texte est modifié pour clarifier ce point. Mais en l’état, ce raisonnement est juridiquement défendable« , ajoute Grégory Homans.
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