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Successions : la loi s’adapte aux nouvelles familles

Testament, héritage, succession: voici ce qui va changer ce 1er septembre (DOSSIER)

Publié le 29 août 2018

Ce 1er septembre, le Code civil fait peau neuve. Quelques réformes importantes relatives aux successions et aux régimes matrimoniaux seront d’application dès ce 1er septembre. Et elles auront un impact sensible sur la manière d’organiser la vie en couple et les futures successions. Il était temps. 

Le Code napoléonien, qui régissait ces matières datant d’il y a 200 ans, commençait à être relativement désuet sur certains aspects. “Il y a deux volets qui sont à la base de la réflexion pour simplifier les procédures de liquidation d’une succession”, explique Renaud Grégoire, notaire, et porte-parole de la Fédération Royale du Notariat belge (Fednot). Il faut voir dans cette réforme une certaine rationalisation des procédures, qui sont très souvent complexes, chronophages pour la magistrature, et relativement onéreuses pour l’Etat belge.” 

Une certaine simplification des procédures était donc souhaitable. “Mais le fait que le Code civil napoléonien date de 1804 signifie aussi qu’un certain nombre de règles étaient surannées. L’argent n’avait pas la même place dans la société au 19e siècle qu’aujourd’hui et la hiérarchie entre les biens en espèces, en biens immeubles et biens meubles était très différente. Il fallait remettre de l’ordre dans tout cela.”

© IPM

Boom des familles recomposées

Enfin, c’est un secret de polichinelle, ces 10 ou 20 dernières années, on a assisté à un véritable bouleversement de la structure familiale. “Il y a aujourd’hui une prééminence des familles recomposées. Les travaux préparatoires ont montré une vraie réflexion sociétale sur la manière de créer un lien de filiation avec quelqu’un qui n’est pas de votre descendance au sens strict.”

Mon père, notaire, enchaîne Gregory Homans, avocat au Barreau de Bruxelles (Dekeyzer et associés), me disait souvent qu’on ne connaissait véritablement quelqu’un qu’à partir du moment où l’on partageait une succession. Une succession, c’est toujours très compliqué, et ça l’est d’autant plus que les parents se remarient, ont des enfants d’un autre lit. Une personne peut être amenée à éduquer un enfant très longtemps qui n’est pas le sien, et à ne plus avoir de contacts avec un enfant à soi résultant d’un premier mariage. Les réformes qui rentrent en vigueur au 1er septembre tendent à faciliter ce « passage obligé » au travers de quatre axes. Le premier: favoriser le maintien de la paix familiale en encourageant l’anticipation de la succession et le dialogue entre les héritiers. Le second : moderniser le droit civil successoral et celui des régimes matrimoniaux pour les faire entrer dans le 21è siècle. Le troisième axe : accorder plus de liberté dans le cadre de l’organisation de sa succession. Le dernier : renforcer la solidarité entre les époux”, estime Gregory Homans.

 

Loi réparatrice en devenir

Cela dit, tout n’est pas parfait. La réforme, qui porte en elles les germes d’une vraie révolution, a – et c’est bien normal – quelques défauts de jeunesse. Elle devrait donc faire l’objet très prochainement d’une loi de réparation. Histoire de gommer quelques anomalies.

Une première difficulté peut résulter du fait que la réserve héréditaire du conjoint survivant (soit, usufruit sur la moitié de la succession) s’impute sur la quotité disponible. Cette mesure tend à favoriser la paix familial en limitant les « indivisions » entre parent et enfant. Le résultat toutefois est que le conjoint survivant est droit de remettre en cause les donations que le défunt à consenti de son vivant à des parents éloigné ou à des œuvres caritatives. Autrement dit, le droit à l’usufruit du conjoint survivant peut poser quelques difficultés. Celles-ci peuvent être régler par le biais d’un pacte successoral (lire par ailleurs, NDLR) mais cela suppose l’adhésion du conjoint survivant et une certaine lourdeur administrative ”, explique Gregory Homans.

Ensuite, une autre anomalie réside dans l’usufruit continué. Le nouveau droit successoral instaure la continuation de l’usufruit. Concrètement, si le donateur était marié au moment de réaliser une donation avec réserve d’usufruit – ce qui est avantageux quand on veut garder une certaine mainmise sur les revenus d’un patrimoine (société, etc.) -, le conjoint survivant obtiendra automatiquement l’usufruit des biens. Le bénéficiaire devra donc “attendre” le décès dudit conjoint survivant pour obtenir la pleine propriété des biens qui avaient été donnés.

Ce qui, au-delà de poser quelques difficultés assez évidentes, signifie aussi que l’usufruit légal continué du conjoint survivant ou du cohabitant légal est soumis à l’impôt de succession. “Ces anomalies épinglées, la loi regorge vraiment d’avancées très intéressantes dans le cadre de la planification successoral , nuance Gregory Homans.

Tour d’horizon des principales modifications qui rentreront en vigueur dès le 1er septembre.

 

  1. Les parts réservataires : une plus grande liberté de gestion

« Lune des nouveautés les plus marquantes de la réforme réside incontestablement dans l’extension de la quotité disponible. Quel que soit le nombre d’enfants, explique le notaire Renaud Grégoire, la réserve héréditaire portera dorénavant automatiquement sur la moitié de la masse successorale dès le 1er septembre”. Plus il y a d’enfants, plus la réserve individuelle se verra donc réduite, alors qu’auparavant, quand il y avait deux enfants, la réserve était de un tiers chacun, de 1 quart lorsqu’il y avait trois enfants, etc. 

“Le Nord du pays a adopté la vision anglo-saxonne selon laquelle une personne fait ce qu’elle veut de son patrimoine et a donc soutenu la suppression de la réserve héréditaire. Quant au Sud du pays, il était plutôt opposé à cette vision des choses et défendait une vision plus conservatrice en matière de réserve héréditaire. Un compromis à la belge a finalement été trouvé”, poursuit Grégory Homans (Dekeyser et associés). Lequel précise que ces modifications en matière de réserves héréditaires et de quotité disponible auront naturellement un impact sur les testaments et les dispositions patrimoniales (donation, etc.) déjà réalisés. 

Cela peut naturellement avoir un impact sur les testaments qui ont déjà été réalisés. Cela dit, il faut préciser que pour ceux qui souhaitent déshériter ou traiter différemment l’un ou l’autre membre familial, il est possible de garder les choses en l’état, telles qu’elles existent aujourd’hui.

 

  1. Donations : plus de justesse, moins de discriminations

Un exemple vaut mieux qu’un long discours. Imaginons qu’un père ait donné un immeuble d’une valeur de 750 000 euros à son fils en 2010. Le même jour, il donnait à sa fille un montant en espèces de 750 000 euros. Lequel allait, par hasard, servir à acheter un immeuble deux mois plus tard. Soit. Le père décède en 2018. L’immeuble vaut 1,5 millions d’euros, tandis que la valeur des espèces n’a pas évolué, selon l’ancien Code civil. Sur la base des anciennes règles, la fille aurait donc été en mesure d’exiger le remboursement de 375 000 euros à son frère (1 500 000 – la moitié de (1 500 000 + 750 000)/2). 

« La fille ne pourra plus demander le respect de la réserve héréditaire car les règles d’évaluation ont changé », explique Gregory Homans. « Dorénavant, poursuit Renaud Grégoire, la valeur des biens sera indexée sur l’indice des prix à la consommation ». « Cela dit, explique le notaire, il se peut que les ayants droit se soient organisés préalablement par le biais d’actes notariaux spécifiques ou par testament et qu’ils ne souhaitent pas se voir appliquer les nouvelles règles. Dans ce cas, une période transitoire a été prévue qui a d’ailleurs été récemment augmentée d’un an (jusqu’au 1er septembre 2019, NDLR). Comme les notaires sont des officiers de l’état civil, pas des vendeurs, nous ne pouvions pas contacter les gens un à un ; il faut bien dire que notre communication n’a pas eu le résultat escompté. C’est donc un soulagement de voir que la période transitoire ait été prolongée pour nous laisser le temps de faire comprendre l’impact des changements pour les donations, notamment, et d’enregistrer des déclarations de maintien pour ceux qui le souhaitent« , estime Renaud Grégoire.

Une exception notable cependant relative à l’évaluation des biens. « Imaginons qu’un père ait fondé une entreprise, qu’il lègue à son fils en 2000, lequel la fait fructifier de manière importante au point d’en faire une multinationale en 2018, au décès de son père. Si le fils a une sœur, à qui son père a fait un legs en espèces de la valeur de l’entreprise en l’an 2000, il faut savoir que les nouvelles règles ne sont pas d’application. En clair, si les deux enfants ont reçu l’équivalent de 100 en 2000, et que l’entreprise vaut 10 000 en 2018, la sœur pourrait réclamer la moitié de la différence…« , explique l’avocat Gregory Homans. « Dans ce cas de figure, un pacte successoral sera indiqué, poursuit l’avocat, mais c’est une procédure plus lourde.« 

 

  1. Les pactes successoraux : le retour du dialogue dans les familles

« Souvent, on voit éclater le ressenti des membres d’une famille lors d’une succession. Je me souviens particulièrement de cette famille flamande, dont le père avait fait fortune dans les métaux précieux, et qui avait acheté un immense terrain dans la périphérie Nord de Bruxelles. Ses 5 enfants étaient installés sur le domaine familial et tout se passait très bien. Au décès du père, tout s’est magnifiquement déroulé jusqu’au partage des meubles du domicile du défunt. A défaut d’accord entre les héritiers, le mobilier a été séparé en lots d’une valeur équivalente. Ces lots ont été alloués à chacun des héritiers par tirage au sort. C’est là que le drame survient : un lot comprenait le rocking-chair dans lequel le père, dans ses rares moments de présence au sein de la famille, leur faisait la lecture a été attribué à l’un des enfants. L’un de ses frères a fondu en larmes car il souhaitait plus que tout le rocking-chair qui symbolisait tout l’amour immatériel de son papa. Ce frère a ensuite remis en cause toute la succession. Celle-ci est toujours pendante, cela va bientôt faire 5 ans », explique Gregory Homans. Lequel explique que les bisbrouilles familiales devant notaire devraient désormais diminuer, les discussions pouvant dorénavant se faire en amont, en anticipation d’une succession. Il est désormais autorisé de conclure certains arrangements relatifs aux héritages à certaines conditions.

Deux types de pactes sont autorisés : le pacte successoral familial (global), réunissant les parents et tous les enfants, et certains pactes successoraux ponctuels”, explique-t-on à la fédération des notaires. “Même si tout n’est pas permis, le fait de pouvoir arranger une succession au préalable constitue une petite révolution qui va ramener la sérénité dans pas mal de familles. Et dans les études notariales”, plaisante Gregory Homans. “Lors de la rédaction d’un pacte successoral familial, le respect d’un équilibre entre les héritiers est au centre des préoccupations”, explique-t-on à la fédération des notaires.

« Dans ce Pacte successoral, il n’est pas nécessaire que chacun reçoive la même chose, mais bien que chacun se sente traité de manière ‘équilibrée’  par rapport aux autres, compte tenu d’éventuelles inégalités ou d’avantages obtenus par le passé. Quant aux pactes ponctuels, ils sont ceci d’intéressant qu’ils permettent souvent de régler certaines choses sur le plan successoral, notamment dans les familles recomposées, même quand tous les membres de la famille concernés ne sont pas présents autour de la table« .

  1. Régimes matrimoniaux : plus de solidarité entre époux

« Pendant des années, la rumeur a couru que la séparation de bien était le meilleur des régimes matrimoniaux”, explique le notaire Renaud Grégoire. “Mais c’est faux. Un tel contrat pouvait même être très pénalisant pour l’épouse d’un entrepreneur, qui ne travaillait pas mais éduquait les enfants, tenait la maison, comme on dit. Si divorce il devait y avoir, l’entrepreneur gardait sa fortune, tandis que son ex-femme se retrouvait sans rien. Je peux comprendre que ce type de contrat pouvait protéger de ses créanciers le patrimoine privé d’un entrepreneur en cas de faillite de son entreprise, mais cela a aussi causé quelques dégâts sociétaux. Cela va changer puisque le conjoint économiquement “plus faible” que l’autre, dans un régime de séparation de biens, sera davantage protégé. En gros, on partage les enrichissements à deux”.

Les couples peuvent ainsi insérer une clause de “participation aux acquêts” dans leur contrat de mariage. Cette possibilité existait déjà avant mais elle est désormais mieux encadrée par la loi. “On peut aussi répéter que le régime légal convient souvent très bien.
Par ailleurs, et ça, c’est nouveau, les futurs époux devront désormais se prononcer expressément devant leur notaire, dans leur contrat de mariage, sur l’insertion (ou pas) d’une clause de “correction en équité”. “C’est une vraie révolution, explique Renaud Grégoire. Un juge va pouvoir statuer en équité, et estimer que la situation financière ayant évolué de telle ou telle manière pour les époux, que l’un s’est de manière inattendue plus enrichi que l’autre, estimer devoir verser une indemnité de divorce pour compenser”

Enfin, Gregory Homans précise « qu’il convient d’épingler parmi les nouveautés la possibilité, dans le cadre de famille recomposée, de déshériter totalement le conjoint survivant de seconde noces et ce, par le biais d’une clause dite Valkeniers »

Dorénavant, cette clause devra être prévue minimum 1 mois et demi avant la signature du contrat de mariage. Les modalités pratiques sont donc alignées sur celles des pactes successoraux, qui impliquent des délais de réflexion avant la signature du contrat. Il ne sera donc plus possible de signer quelques jours ou quelques heures avant son mariage un contrat de mariage avec cette clause.

 

Source : La Libre 

Libre Belgique, 29 août 2018

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