Publié le 18 mai 2020
L’actualité n’aimant pas le vide, pour paraphraser cette célèbre citation de Victor Hugo, de nouveaux sujets brûlants viennent s’immiscer dans cette période de sortie progressive du confinement. Le plus récent en date pourrait se résumer de cette manière : « la mer du Covid se retire, place au Tsunami économique ! »
Pas très réjouissant tout ça, mais doit-on vraiment s’en inquiéter? Afin d’avoir une vision plus objective sur la question, j’ai pensé qu’il serait bon de donner la parole à des experts en la matière, à savoir Me Gregory Homans (avocat-associé) et Me Baptiste Verbruggen (avocat fiscaliste) du cabinet d’avocats Dekeyser & Associés.
Les économistes sont très créatifs en ce moment, et songent à plusieurs solutions. De la plus controversée à savoir : taxer les personnes âgées. Une idée du professeur Jean-Emmanuel de Neve de l’Université d’Oxford. En passant par la proposition de l’économise Guy Colmant pour un revenu universel. Cette approche est déclinée de manière différente par le libéral Georges-Louis Bouchez ou l’écologiste Philippe Defeyt. Concrètement, nous parlons d’un revenu remplaçant les aides sociales variant de 600 EUR/mois à 1.000 – 1.200 EUR/mois en fonction de leurs concepteurs. Les moyens pour financer cette solution se feraient selon un curseur fiscal idéologique différent. Bien que l’idée de base soit fort semble fort semblable, allons-nous dès lors vers un compromis à la belge? Nous le verrons plus tard. J’ai également retenu l’idée Européenne du Corona bonds, une mutualisation de la dette européenne et dont l’idée fut soulevée par le professeur Roland Gillet, proche du prix Nobel Joseph Stiegliz, comme solution mutualisée lors de récente crise de la dette Grecque.
Voilà pour ce qu’en dit la presse, mais qu’en pensent nos spécialistes de la fiscalité au quotidien, Me Homans, quel est votre avis sur le sujet?
(M. G. Homans) Merci Sébastien, je ne suis pas économiste, à chacun son métier. Toutefois, les conséquences des décisions économiques auront un impact fiscal, il s’agit en effet de financer les mesures prises. C’est la base du raisonnement, il ne faut jamais le perdre de vue. Dès lors, comment compenser, par exemple la proposition du MR de financer un revenu universel évalué à 6 Milliards EUR? ou les mesures instaurées pour soutenir les petites et moyennes entreprises? Certains partis politiques envisagent déjà le recours à une contribution exceptionnelle de crise tout comme certains voisins européens. A titre d’exemple, le Parti démocrate italien propose d’instaurer une taxe de solidarité supportée par les personnes dont le revenu annuel excède 80.000 euros. L’Autriche s’oriente dans la même direction.
L’idée d’instaurer une taxe exceptionnelle de solidarité n’est pas neuve.
Déjà dans l’antiquité, les grecs connaissaient «l’eisphora». Il s’agissait d’un impôt sur les revenus fonciers perçu de façon exceptionnelle pour faire face à des situations imprévisibles (notamment, la reconstruction de la Cité suite à une guerre). Cet impôt fût à ce point répété, qu’il en devint la norme. «La vie est un théâtre, nous sommes en représentation tandis que l’histoire est en répétition» dit-on. Preuve en est : la France a instauré, en 2011, une contribution exceptionnelle à charge des hauts revenus. Si cette
contribution devait initialement être temporaire, force est de constater qu’elle est toujours en vigueur!
(S. Van Passel) Concrètement, comment notre État pourrait-il s’y prendre?
(M. G. Homans) Si l’Etat belge venait à instaurer une contribution exceptionnelle de crise («taxe Covid-19»), celle-ci devrait être aménagée de manière à ne pas porter préjudice à la croissance, et ce afin d’assurer la relance de l’économie. On en revient en ce lien indissociable entre économie et finance.
A l’instar de la France, la Belgique pourrait décider de ne pas instaurer de «taxe Covid-19» mais plutôt de repenser son système fiscal.
Dans ce cadre, il n’est pas exclu que l’Etat réinstaure la taxe sur les comptes-titres dans une version 2.0. tenant compte des griefs de la Cour constitutionnelle (une proposition de loi a été déposée le 10 janvier 2020 en ce sens)
Le législateur pourrait également supprimer ou aménager les spécificités fiscales belgo-belges, parmi lesquelles les avantages fiscaux des comptes épargnes (exonération de précompte mobilier de maximum 990€ d’intérêts des livrets d’épargne). En supprimant cet avantage, la Belgique éviterait de subir une éventuelle prochaine condamnation de la Cour Européenne de Justice qui pourrait, à nouveau, estimer que ce système est discriminant.
(S. Van Passel) L’ombre de la taxation sur les plus-values pourrait-elle planer sur les contribuables ?
(Me G. Homans) L’administration fiscale pourrait très bien supprimer l’exonération des plus-values réalisées par des particuliers sur des avoirs financiers. En effet, suite à la disparation du secret bancaire et à l’intensification des échanges automatiques d’informations, l’administration fiscale belge dispose désormais des éléments pour mettre en place une taxation des plus-values réalisées sur des avoirs financiers.
Les responsables des finances publiques pourraient par conséquent souhaiter établir une équivalence entre le niveau de taxation des revenus produits par les avoirs financiers (précompte de 30%) et celui des plus-values réalisées sur ceux-ci. Et ce, à l’instar de la France qui a récemment instauré un prélèvement forfaitaire unique s’appliquant tant sur les revenus de l’épargne que sur les plus-values. Dans le même esprit, le gouvernement belge pourrait constater que le système fiscal est une véritable jungle avec un foisonnement de taux d’imposition. Partant de ce constat, le gouvernement pourrait souhaiter rationaliser le système fiscal en instaurant une plus grande globalisation des revenus et des plus-values. Dans cette dynamique, les revenus de l’épargne et les plus-values seraient soumis, au même titre que les revenus du travail, à l’impôt progressif susceptible d’atteindre jusqu’à 50%.
(S. Van Passel) Vous pensez réellement qu’un prochain gouvernement de plein exercice pourrait s’attaquer à l’exonération des plus-values réalisées?
(Me G. Homans) Ce scénario est envisageable, car ce ne serait pas la première fois que l’exonération des plus-values réalisées par des particuliers sur les avoirs financiers serait remise en cause (songeons à la taxe sur la spéculation supprimée en 2017) !
(S. Van Passel) En Belgique, les gouvernements sont très prudents à l’idée de s’attaquer aux revenus locatifs des particuliers. Croyez-vous que ce tabou pourrait être brisé?
(Me G. Homans) Vu l’obligation d’enregistrer les baux résidentiels, le gouvernement pourrait aisément instaurer une taxation des loyers résidentiels perçus par des particuliers.
Il faut savoir que cette taxation faisait déjà partie du dernier programme électoral de plusieurs partis politiques. Cette mesure permettrait de faire l’économie d’une péréquation cadastrale.
(S. Van Passel) Cela risque de faire mal fiscalement mais également électoralement, surtout aux ainés, dont une partie de leur faible niveau de pension est souvent compensé par des revenus locatifs?
(Me G. Homans) C’est évident. C’est la raison pour laquelle des aménagements sont envisagés afin de ne pas entraver la mise en location de biens immobiliers à des fins résidentielles (système d’abattements, taxation à un taux distinct, niveau de taxation différent selon le nombre de biens mis en location, etc.).
(S.Van Passel) Et l’Europe dans tout cela ?
(Me G. Homans) Comme vous le disiez en préambule, sur la scène européenne, différentes mesures pourraient également être prises pour accompagner la relance économique : instauration d’une taxe sur les transactions financières, instauration d’une taxe GAFA, etc
(S. Van Passel) Me Verbruggen, le gouvernement ne pourrait-il pas envisager des mesures plus positives, permettant de relancer l’économie en activant la manne des carnets de dépôts qui atteignent des niveaux historiques tout en profitant de mécanismes existants?
(Me B. Verbruggen) Vous pensez certainement au tax shelter! Celui-ci fut introduit en 2003 en vue de favoriser les investissements faits dans le secteur de l’audiovisuel. Il s’agit d’une exonération à l’impôt des sociétés pour les sociétés et personnes morales. En 2017, ce système a été notamment élargi aux œuvres scéniques.
Parallèlement, un tax shelter à l’impôt des personnes physiques a été introduit en vue d’accroître le financement des entreprises débutantes (en 2015) et, par la suite, des entreprises en croissance (en 2019). La mesure prend la forme d’une réduction d’impôt à l’IPP en lien avec le montant investi.
En vue de soutenir la relance économique suite à l’actuelle crise sanitaire, il est clairement envisagé d’étendre le régime de tax shelter : (1) d’une part en augmentant les plafonds d’investissement admis ; (2) d’autre part en l’étendant à d’autres secteurs tels que l’horeca, la culture en général (pas uniquement l’audiovisuel et les œuvre scénique), le tourisme ou l’évènementiel.
(S. Van Passel) La mise en place d’un gouvernement de plein exercice permettra certainement d’y voir un peu plus clair à ce sujet et de découvrir les mesures réellement mises en place.
Nous remercions Me Homans & Verbruggen pour le temps consacré à cette interview. Vous pouvez les contacter directement via l’adresse e-mail suivante : office@dekeyser-associes.com ou au numéro suivant : +32(0)2.533.99.60
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Sources : 4investors
Eurobonds ou Corona Bonds : https://www.touteleurope.eu/actualite/covid-19-comment-les-corona-bonds-reveillent-un-vieux-debat-europeen.html
Tax shelter Corona https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/les-experts-proposent-un-tax-shelter-covid-19-pour-les-pme/10223620.html