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Peut-on déshériter ses enfants ?

Publié le 7 avril 2018

Johnny Hallyday a écarté ses enfants David et Laura de sa succession en s’appuyant sur la loi californienne

En Belgique, il est interdit de déshériter ses enfants sans leur demander leur avis. Il n’est toutefois pas interdit de faire comme Johnny et de soumettre sa succession à une juridiction étrangère moins protectrice pour eux, de déshériter un enfant avec son accord, ou encore de loger des biens dans une fondation à l’abri de ses héritiers.

La réforme du droit successoral civil – qui entre en vigueur en septembre – donne un peu plus de liberté à ceux qui souhaiteraient défavoriser un ou plusieurs enfants dans le cadre de leur succession. De fait, la réserve héréditaire des enfants (la part minimale qui leur est réservée), qui correspond actuellement à la moitié de la masse successorale lorsque l’enfant est unique, deux tiers s’ils sont deux et trois quarts s’ils sont trois ou plus, sera limitée à 50% quel que soit le nombre d’enfants. « Avec la réforme, il sera donc possible pour des parents de disposer librement de la moitié de leur patrimoine. Cette moitié pourra revenir à l’un de leurs enfants. Il est donc possible d’avantager un enfant plus qu’un autre », explique Florence Cappuyns, avocate fiscaliste au sein du cabinet Goethals Geurts.

Cependant, selon le notaire Renaud Grégoire, « ce n’est pas parce que la loi élargit la quotité disponible que les gens vont s’engouffrer dedans et vouloir déshériter dans tous les sens. En réalité, la grande majorité des personnes qui viennent voir leur notaire cherchent justement à garder un équilibre entre les enfants. En revanche, ce qui est certain, c’est que si les rapports avec un enfant sont rompus ou explosifs, les parents sont effectivement prêts à tout faire pour éviter qu’il n’hérite de quoi que ce soit. Et là, ça devient quelque chose de très prenant. Les personnes qui sont dans cette situation en font une véritable obsession », constate-t-il.

C’est à ce stade qu’ils élaborent des tas de plans plus ou moins tordus: dilapider leur fortune (pas prudent) ou vendre leur habitation en viager (pas efficace si le patrimoine n’est pas constitué que d’immobilier et pas toujours pertinent étant donné que le patrimoine immobilier est transformé en patrimoine mobilier qui n’échappera pas aux héritiers réservataires). Ils pensent aussi à effectuer des donations de leur vivant à l’enfant qu’ils souhaitent gratifier (en espérant que personne ne va s’en apercevoir auquel cas l’autre pourrait réclamer son dû au moment de la succession) ou encore, en cas de secondes noces, à faire un contrat de mariage en séparation de biens et tout mettre au nom du (de) la deuxième compagne/compagnon. « Lorsque vous avez des enfants d’un premier mariage et que vous n’avez plus de contact avec eux, vous pourriez être tenté(e) de mettre tout votre patrimoine au nom de votre seconde épouse (second époux). Ce n’est pas une bonne solution, compte tenu de l’important risque statistique d’une séparation », poursuit Renaud Grégoire.

Dans les faits, déshériter un enfant n’est donc pas aisé, ce qui semble logique étant donné que la loi l’interdit. Pour les plus motivés, il existe toutefois des solutions, mais elles ne sont pas si faciles à mettre en pratique…

  1. À l’étranger

L’affaire du testament de Johnny Hallyday a réveillé les questionnements sur les possibilités légales de déshériter ses enfants en s’appuyant sur le droit d’un pays étranger qui ne connaît pas la réserve héréditaire. Depuis 2015, un règlement européen autorise en effet toute personne à choisir le droit civil régissant sa succession: le choix doit porter sur l’État de sa nationalité (au moment du choix ou du décès) ou sur son État de résidence habituelle (au moment du décès). Il doit être exprimé par testament (chez le notaire ou pas) ou dans un pacte successoral ou dans un acte de donation.

Revenons sur le cas « Johnny »: dans son testament, le rockeur a légué tous ses biens à sa nouvelle épouse et à ses deux dernières filles. Ses deux premiers enfants sont totalement déshérités. La famille s’appuie sur le fait que, si la loi française ne permet pas de déshériter ses enfants, la loi californienne – où Johnny Hallyday résidait – le permet. Par ailleurs, la réserve héréditaire française n’étant pas considérée comme étant « d’ordre public », le fait de ne pas la respecter et de choisir un droit civil successoral dans lequel elle n’existe pas – en l’occurrence la Californie – ne permet pas d’invalider ce choix.

Et en Belgique? « La réserve héréditaire belge n’est pas non plus d’ordre public international », précise Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés, ce qui signifie que le futur défunt peut choisir pour régler sa succession un droit civil étranger qui ne connaît pas de réserve héréditaire. Rappelons toutefois qu’il doit avoir la nationalité du pays en question ou y résider au moment de son décès ou au moment du choix de droit successoral, et qu’il doit l’avoir expressément choisi. Un Belge qui n’a pas la nationalité du pays qui dispose d’un droit successoral à son goût devra donc obligatoirement déménager pour y établir sa résidence habituelle (d’où le degré de motivation qui doit être assez… élevé). Reste à savoir où aller (outre la Californie). Comme l’explique Grégory Homans:

L’Angleterre, Israël et la Communauté autonome de Navarre (Espagne) ne connaissent pas le concept de réserve héréditaire. S’il est possible de soumettre sa succession à l’un de ces droits, le défunt pourra déshériter l’ensemble de ses héritiers, sans leur accord. Ni les enfants, ni le conjoint, n’ont donc de réserve héréditaire.

L’Irlande ne reconnaît pas de réserve héréditaire au profit de ses enfants, mais seulement de son conjoint survivant.

Par ailleurs, il est aussi possible de déshériter totalement son conjoint sans son accord dans les pays suivants: le Luxembourg, les Pays-Bas, la Finlande, la Slovaquie, la Communauté autonome de Catalogne et, si le défunt a des enfants, la France.

  1. Avec l’accord du déshérité

Il est possible de déshériter un enfant (ou son conjoint) moyennant son accord. Dans la pratique, la personne déshéritée donne en général son accord parce que la famille a trouvé un autre arrangement financier.

Dans ce cas, la personne peut donner de son vivant des biens meubles/immeubles à un héritier et les autres héritiers réservataires doivent renoncer à tout droit réservataire sur ce bien (au moment de la donation ou ultérieurement). Techniquement, il s’agit d’une renonciation anticipée à une action en réduction.

La réforme du droit successoral va étendre cette possibilité. « Tout héritier pourra à l’avenir renoncer de manière anticipée totalement ou partiellement à ses droits successoraux et à son action en réduction et ce, dans le cadre d’un pacte successoral. Cela n’impliquera plus de recourir à des donations préalables. Par contre, l’accord des héritiers ‘déshérités’ sera toujours requis », précise Grégory Homans.

  1. Via une fondation familiale

Le recours à une fondation familiale belge permet de déshériter tous ses héritiers à concurrence des biens logés dans la fondation. « En effet, le fait de loger des biens dans une fondation familiale permet de sortir des biens de son patrimoine et de priver ses héritiers de tous droits/prétentions successoraux sur ces biens. Cette mesure n’implique pas le consentement des héritiers déshérités, ce qui offre plus de latitude aux personnes souhaitant s’organiser. Mais des aménagements particuliers, notamment dans la définition du but de la fondation, doivent être prévus pour éviter, dans toute la mesure du possible, le risque d’une éventuelle requalification de l’apport à la fondation par le fondateur en donation par ce dernier au profit du (des) bénéficiaire(s) de la fondation », précise Grégory Homans.

Cependant, selon Florence Cappuyns, « si le fondateur est marié ou s’il a des enfants, il ne pourra disposer que de la quotité disponible (50% avec la réforme). Les tribunaux peuvent en effet assimiler le recours à la fondation à une donation indirecte. Si tel est le cas, les biens apportés à la fondation seront pris en considération au moment de calculer la quotité disponible et devront être réduits ».

Il faut avoir conscience que l’affectation du patrimoine par le fondateur est irrévocable. « Le patrimoine qu’il apporte à la fondation doit être affecté à la réalisation d’un but désintéressé, qui sera mentionné dans les statuts. Par but désintéressé, il faut entendre la poursuite d’un objectif qui est caractérisé par l’absence d’avantage patrimonial direct. Ce sera par exemple des objectifs d’ordre familial, tels que la sauvegarde et/ou la gestion du patrimoine familial, l’éducation des enfants ou encore des objectifs d’ordre culturel. Le fondateur et les administrateurs de la fondation ne peuvent tirer un avantage ou profit du patrimoine affecté », conclut-elle. Toutefois, l’apport d’un bien à une fondation n’implique pas d’office un dépouillement total du fondateur. En effet, il est possible de réaliser l’apport à la fondation afin de garantir au fondateur de bénéficier notamment du droit de percevoir les revenus des biens logés dans la fondation et de celui de continuer à gérer ces biens comme il l’entend.

Source : l’Echo

 

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