Publié le 9 juin 2025
Les arguments du gouvernement face aux critiques du Conseil d’État ne convainquent pas, selon des fiscalistes. La Cour constitutionnelle pourrait être saisie.
La gestation de l’exit tax se présente mal. Malgré les explications que le gouvernement a avancées pour justifier son projet de taxer les actionnaires de sociétés qui quittent la Belgique, des fiscalistes identifient plusieurs problèmes et jugent probables des recours en annulation devant la Cour constitutionnelle.
La nouvelle exit tax (taxe à la sortie, littéralement), censée entrer en vigueur en juillet, vise à contrer l’exil d’entreprises belges: si une société déplace son siège social à l’étranger, un nouvel impôt sera perçu via une fiction légale: on fait comme si la société en question était liquidée et toute sa valeur distribuée aux actionnaires. Ce dividende fictif sera taxé à 30%.
Le Conseil d’État a sévèrement critiqué ce texte parce qu’il contrevient au principe européen de la liberté d’établissement: l’exit tax empêcherait une société de s’établir librement dans le pays européen de son choix.
L’exécutif fédéral a choisi de maintenir son projet en étoffant son argumentaire. « Cette mesure peut être justifiée par l’objectif consistant à assurer la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres« , explique-t-il dans sa réponse à l’avis du Conseil d’État. « La Belgique souhaite ainsi exercer son pouvoir d’imposition sur la distribution des plus-values latentes générées sur son territoire durant la période pendant laquelle la société avait sa résidence fiscale en Belgique. »
Risque de double imposition
Une telle justification est admise par la Cour de justice de l’Union européenne, à condition d’être proportionnée. « Dans ce cadre, la Cour de justice vérifie si l’État sur le territoire duquel des revenus ont été générés se voit effectivement empêché d’exercer sa compétence fiscale sur lesdits revenus à la suite de la sortie », explique Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law. « Or, on ne retrouve guère, dans l’exposé des motifs, de développements sur cette question épineuse: en quoi la Belgique se verrait-elle privée de taxer ces plus-values latentes générées sur son territoire après l’émigration de la société belge? »
« Sachant que l’imposition est exercée au niveau des actionnaires, qui demeurent résidents belges, et non au niveau de la société qui émigre, il est autorisé de s’interroger sur la perte effective du pouvoir d’imposition sur les actionnaires résidents belges« , observe Grégory Homans, avocat associé chez Dekeyser & Associés. « La cause justificative, à savoir la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, ne nous semble ainsi pas pouvoir être utilisée, et ce, malgré le remaniement du texte suite à l’avis critique du Conseil d’État. »
Les spécialistes pointent aussi le risque d’une double imposition. « Le fait de prélever l’exit tax n’empêchera pas une retenue à la source dans l’État d’accueil de la société« , avertit Me Philippe. « Les mêmes revenus pourraient faire l’objet d’une taxation chez l’actionnaire en Belgique au moment de l’émigration, en application de l’exit tax, et au moment de leur distribution future, via une retenue à la source par l’État d’accueil. L’exposé des motifs n’a pas pris la mesure du risque de double imposition. »
Articulation avec la taxe sur les plus-values
De plus, « l’imposition unilatérale par la Belgique d’un boni de liquidation fictif peut enfreindre les conventions préventives de double imposition, en particulier, si les actionnaires ne sont pas des résidents belges », soutient Me Homans, qui s’interroge aussi sur la différence de traitement entre, d’une part, les actionnaires majoritaires, qui disposent d’un pouvoir de décision quant au transfert de siège, et, d’autre part, les actionnaires minoritaires, qui subissent la décision de délocaliser le siège.
En outre, l’exit tax en projet pourrait aussi poser un problème en cas d’application simultanée d’une autre exit tax incluse dans le mécanisme de la future taxe sur les plus-values. Pour éviter toute tentative d’échapper à cette dernière, le gouvernement prévoit, en effet, que si un contribuable part à l’étranger, cette expatriation sera assimilée à une vente de ses actifs financiers et la taxe s’appliquera malgré l’absence de cession effective des actifs. « En l’état, ces deux exit taxes sont amenés à se cumuler sans qu’une compensation soit prévue », constate Grégory Homans.
« Au regard de l’actuel projet de texte, un recours en annulation auprès de la Cour constitutionnelle n’est pas à exclure« , estime Me Homans. « Il est fort probable que des recours en annulation seront introduits devant la Cour constitutionnelle pour que l’exit tax ne sorte jamais ses effets », confirme Me Philippe. La saga de l’exit tax est sans doute loin d’être terminée.
DEKEYSER & ASSOCIES_ECHO_L'exit tax sous la menace de recours en annulation_09.06.2025Pour télécharger ou imprimer ce document PDF, veuillez cliquer sur l'icon
