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L’Europe sonne le glas des comptes d’épargne

L’arrêt de la Cour de justice de l’UE qui condamne la fiscalité des comptes d’épargne risque d’avoir d’importantes conséquences. Les contribuables peuvent réclamer des précomptes mobiliers retenus à l’étranger. Il y aurait là des millions d’euros de manque à gagner pour l’Etat belge.

Après la condamnation de la législation belge sur les comptes d’épargne par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) jeudi matin, que pourrait-il se passer pour les livrets belges et que peuvent espérer des Belges titulaires de comptes auprès d’institutions financières étrangères ? Plusieurs fiscalistes voient dans cet arrêt une énorme brèche dans la fiscalité qui encourageait jusqu’à présent les épargnants belges à privilégier les institutions financières nationales.

Le livret tel qu’on le connaît a vécu. Les recours de contribuables pourraient faire perdre des millions d’euros à l’Etat belge. Ceux qui veulent réclamer sur base de l’arrêt de la Cour ont plusieurs possibilités.

La Commission pourrait agir contre la Belgique

Premièrement, l’arrêt lie tout d’abord le juge qui a posé la question préjudicielle à l’origine de la procédure devant la Cour européenne. « Le tribunal de première instance de Bruges (qui a posé la question à la CJUE, ndlr) a l’obligation de se conformer à l’arrêt », explique l’avocat Christophe Boeraeve, expert en fiscalité et associé au cabinet Law Right. « Et en cas de procédure d’appel ou de pourvoi en cassation, la même obligation s’imposera aux juges qui siégeront dans ces juridictions. »

Ensuite, si l’Etat belge ne modifiait pas sa législation, la Commission européenne, gardienne des libertés consacrée par les traités européens, pourrait passer à l’action. « La Commission pourra à nouveau, comme en 2013 et, gageons, avec le même succès, engager une procédure en manquement », précise Maître Boeraeve.

Chaque épargnant peut récupérer d’anciens précomptes

Plus important, tout contribuable belge titulaire de comptes à l’étranger pourrait se prévaloir de cet arrêt pour réclamer à l’administration fiscale belge le remboursement de précomptes mobiliers perçus à l’étranger. « Toutes les juridictions belges sont liées par la décision, dont l’effet porte tant sur le dispositif (la conclusion de l’arrêt, ndlr) que sur les motifs (les arguments développés par la CJUE, ndlr) », souligne Me Boeraeve. « Tout épargnant peut donc agir en justice sur la base de l’arrêt de la Cour. »

Mieux : ces recours pourront porter sur les intérêts perçus il y a plusieurs années. « Les délais de réclamation sont rouverts, même pour de très anciennes années, à partir publication de l’arrêt au Journal officiel (l’équivalent du Moniteur belge à l’échelon européen, ndlr) », explique Marc Dassesse, avocat et professeur émérite à l’ULB. En l’occurrence, les délais de réclamation sont de six mois, par analogie avec ce que prévoit la loi belge sur les effets des arrêts de notre Cour constitutionnelle.

L’arrêt sonne le glas des livrets

Marc Dassesse envisage la possibilité que ces recours portent sur les intérêts de comptes à terme étrangers, par exemple. « Cet arrêt ne signifie-t-il pas l’exonération inconditionnelle des intérêts étrangers perçus par des résidents belges en Europe, par exemple sur des comptes à terme?« , s’interroge-t-il.

Pour Pierre-Philippe Hendrickx, avocat au cabinet Nibelle & Partners, la décision de la CJUE « paraît signer l’arrêt de mort de l’exonération réservée aux seuls comptes d’épargne ». « Il y a dès lors deux solutions », poursuit-il. « Soit on supprime purement et simplement l’exonération, soit on l’étend à tous les intérêts de compte à vue et on enlève toutes les conditions qui visent en fait essentiellement à distinguer les comptes d’épargne des comptes à vue. »

En effet, la Cour vise spécifiquement la structure de rémunération propre aux livrets belges, composée d’un taux de base et d’une prime de fidélité, particularité belgo-belge qui empêche aux clients belges de banques étrangères de pouvoir prétendre à l’exonération fiscale. Dans les deux hypothèses (fin de l’exonération ou extension de celle-ci à des comptes autres que ceux qui proposent un taux de base et une prime de fidélité), le compte d’épargne belge aura vécu puisque sa principale caractéristique est de proposer aux épargnants un taux de base et une prime.

L’arrêt de la CJUE sonne donc le glas du compte d’épargne tel que l’on le connaît actuellement.

L’Etat belge n’a plus le choix

La préférence de Me Hendrickx va « à une suppression pure et simple de l’exonération »: « La décision de la Cour était attendue et le gouvernement ferait bien de méditer cette phrase de Warren Buffet : Si jamais vous vous retrouvez dans un bateau qui coule, l’énergie pour changer de bateau est plus productive que l’énergie pour colmater les trous. »

Maître Grégory Homans, associé au cabinet Dekeyser & Associés, considère que « la suppression de l’abattement fiscal des comptes d’épargne est la solution qui a le plus de chances d’être préconisée« .

Selon lui, « cette suppression est dans l’air du temps et ce, notamment au regard de la première condamnation de l’état belge par la CJUE en 2013, de questions parlementaires posées en 2015 et des conclusions du rapport rendu par le groupe d’experts financiers de 2016″. Me G. Homans souligne qu’ »il semble même étonnant que le gouvernement n’ait pas cherché à devancer cette condamnation de l’état belge en anticipant la suppression de l’abattement fiscal

A ce propos, que va faire le ministre des Finances? Contacté jeudi par nos soins, il semble vouloir jouer la montre. Son cabinet « prend acte de l’arrêt » mais signale que « la décision  de la Cour sur la question préjudicielle n’est pas encore finale ». Il n’y a « donc pas de condamnation formelle », affirme le cabinet de Johan Van Overtveldt (N-VA) « dans la mesure où un juge belge doit encore se pencher sur la question ». « Tous les aspects de l’arrêt seront néanmoins analysés en détail avec les services compétents », assure-t-il encore.

Reste que, d’après les fiscalistes que nous avons contactés, le juge belge concerné devra se conformer à l’arrêt, comme toute autre juridiction qui serait saisie de la même question, et que le fédéral devra prendre position sur l’avenir des règles fiscales des livrets.

L’avocat Christophe Boeraeve (Law Right) confirme que, cette fois-ci, l’Etat belge n’a plus le choix : « L’arrêt est limpide. Il ne permet aucunement à la Belgique de continuer encore et toujours à violer les règles de droit communautaire aussi essentielles que la libre circulation des services et des capitaux pour protéger les intérêts partisans des banques belges. »

Comment agir en pratique ?

Comment l’épargnant belge peut-il se prévaloir de l’arrêt de la CJUE? Maître Boeraeve entrevoit plusieurs pistes. Selon lui, en vertu de leur cadre déontologique du 17 août 2007, les fonctionnaires de l’administration fiscale belge sont tenus de respecter le contenu de l’arrêt. « Chaque collaborateur du service public fédéral des Finances est tenu de respecter le droit de l’Union européenne, qui a valeur légale supérieure à nos règles internes, et il suffira au besoin de le lui rappeler en lui envoyant l’arrêt », explique l’avocat fiscaliste.

Selon lui, « le caractère illégal de la circulaire du 12 juin 2014 (qui détaille l’application des règles des comptes d’épargne, ndlr)  est clairement établi par la CJUE dans son arrêt de ce jeudi ». Par conséquent, « les fonctionnaires ne sont plus autorisés à l’appliquer ou à y faire référence  d’une manière quelconque lors des contrôles ou autres actes qu’ils posent en leur qualité de collaborateurs du SPF Finances ».

Dès la publication de l’arrêt au Journal officiel, les Belges pourront donc réclamer au fisc leurs précomptes perçus en contradiction avec le droit européen. Il y a probablement là des millions d’euros que l’Etat belge pourrait devoir rembourser.

Quels recours en cas de refus du fisc ?

Et que se passe-t-il si un épargnant demandant l’exonération de ses intérêts perçus à l’étranger n’obtient malgré tout pas satisfaction auprès d’un fonctionnaire du fisc belge ? « Chaque contribuable, ou établissement financier membre de l’Union européenne, peut porter plainte contre ce fonctionnaire auprès d’un récent service du SPF Finances tout entier dédié à la gestion des plaintes », explique Me Boeraeve.

D’ailleurs, sourit-il, le fisc « invite clairement à la consommation sur son site internet. » On peut en effet y lire: « En tant que service public, le SPF Finances accorde beaucoup d’importance à la qualité de sa prestation de service. Notre ambition est d’améliorer sans cesse notre manière de travailler afin d’assurer une prestation de service optimale au citoyen. Vos plaintes sont donc les bienvenues. N’hésitez pas à nous les transmettre!« 

Et si cela ne suffit pas, Christophe Boeraeve conseille de s’adresser au conciliateur fiscal « qui rappellera également à l’administration ses obligations nouvelles ». Le Service de conciliation fiscale peut être saisi directement par le contribuable aux coordonnées suivantes:

Service de conciliation fiscale
North Galaxy, Tour B – 25° étage
Bd du Roi Albert II, 33, Boîte 46
1030 Bruxelles
Tél:  0257/62360
conciliateurs.fiscaux@minfin.fed.be

Les Belges champions des condamnations

Au-delà de ses conséquences pratiques pour les Belges, l’arrêt de la CJUE ternit encore davantage l’image de la Belgique sur la scène européenne. « Il existe malheureusement beaucoup de précédents où l’Etat belge a été condamné », relate Me Boeraeve, qui a recensé récemment un total de 36 condamnations de la Belgique, contre 5 du Luxembourg et… zéro de pays tels que Malte ou la Lituanie.

Et Maître Boeraeve de conclure, en boutade: « Nos voisins européens doivent se dire que l’on peut faire confiance aux Belges pour deux choses : la finance et l’hypocrisie…« 

Philippe Galloy, 9 juin 2017

 

Source : L’Echo

 

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