Publié le 18 octobre 2019
L’annulation du prélèvement de 0,15% sur les comptes-titres d’au moins 500.000 euros pose encore de nombreuses questions. Les investisseurs pourraient avoir intérêt à agir.
Plusieurs questions se posent après l’annulation de la taxe sur les comptes-titres (TCT) par la Cour constitutionnelle jeudi. Même si la haute juridiction a rendu cette décision non rétroactive, des recours de contribuables seraient néanmoins possibles.
Par ailleurs, il n’est pas exclu qu’une nouvelle taxe de ce genre, améliorée, voie le jour à l’avenir. L’annulation pose aussi la question de l’intérêt de réinvestir dans des actifs détenus en comptes-titres. Enfin, l’annulation de la taxe risque d’avoir des conséquences budgétaires…
La taxe sur les comptes-titres (TCT) sera-t-elle prélevée cette année?
Oui. La Cour constitutionnelle a décidé de maintenir les effets des dispositions annulées jusqu’à cette année « afin de tenir compte des conséquences budgétaires et administratives et du contentieux judiciaire qui pourraient découler de l’arrêt ».
Autrement dit, pour éviter d’enfoncer encore plus le budget de l’État dans le rouge, pour éviter les tracas de la mise en place de remboursements et pour éviter des procédures en justice, « la taxe de 2019 sera bien prélevée d’ici décembre prochain », indique François Parisis, directeur du département fiscal à la Banque Transatlantique.
De nombreux investisseurs ont d’ailleurs déjà reçu, de la part de leur intermédiaire financier belge, l’aperçu mentionnant la valeur moyenne de leurs titres pour la période imposable courant d’octobre 2018 à septembre 2019. Si cette valeur atteint 500.000 euros minimum, la taxe s’appliquera.
Ceux qui avaient introduit un recours sans attendre l’arrêt de la Cour pourront-ils se faire rembourser?
Ces contribuables « ont, à mon avis, de très bonnes chances de contester avec succès la non-rétroactivité et de récupérer la taxe payée en 2018 et 2019 », estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé au cabinet Bloom et maître de conférences à l’Université de Liège. « En effet, maintenir les effets de la taxe sur les comptes-titres implique que le gouvernement – la Cour constitutionnelle – pourrait s’immiscer dans des procès en cours et priver de leurs droits les contribuables ayant, à juste titre, invoqué l’inconstitutionnalité du dispositif, ce qui est inacceptable. »
Selon lui, les motifs de cette non-rétroactivité, dont le contentieux judiciaire qui pourrait découler de l’arrêt, « ne se justifient guère lorsqu’un recours a déjà été introduit ». « Nous avons, au sein de notre cabinet, envoyé plusieurs recours pour le compte de nos clients », ajoute Me Philippe. « De nombreuses banques ont d’ailleurs conseillé à leurs clients d’introduire une réclamation, sans attendre le verdict de la Cour constitutionnelle. »
Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés, abonde en ce sens: « Les personnes qui ont acquitté la TCT et qui ont déjà introduit une réclamation contre celle-ci ne manqueront certainement pas de se prévaloir de cet arrêt pour conforter leur position. Les motifs retenus par la Cour pour justifier la non-rétroactivité ne devraient pas s’appliquer dans leur cas. »
Pour ceux qui n’ont pas encore agi en justice, est-il encore temps d’introduire un recours pour se faire rembourser?
En principe, la non-rétroactivité de l’annulation implique que les taxes perçues et à percevoir cette année seront inattaquables à l’avenir. Mais « pour ceux qui n’auraient pas encore introduit un recours, la partie n’est pas perdue », estime Denis-Emmanuel Philippe. « Maintenir les effets d’une taxe qui est clairement anticonstitutionnelle pourrait être constitutif d’une violation du droit de propriété consacré par l’article 1 du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, puisque les contribuables ont dû acquitter un impôt illégal. »
Ici aussi, Grégory Homans opine: « Les personnes ayant acquitté la TCT sans introduire de réclamation pourraient chercher à en obtenir le remboursement sur la base du fait que le maintien des effets d’une taxe anticonstitutionnelle constituerait une violation du droit de propriété. »
Un autre angle d’attaque serait même possible. « On peut aussi se demander si les épargnants ne pourraient pas envisager d’intenter une action en responsabilité contre l’État », analyse Me Philippe. « Il est en effet établi que l’État a adopté et maintenu une taxe qui était manifestement inconstitutionnelle. Le Conseil d’État et de nombreux experts avaient mis en garde le gouvernement contre le risque d’annulation de la taxe, et ce bien avant son adoption par la loi du 7 février 2018. »
Si on a éludé la taxe, est-on disculpé?
Cela peut paraître un non-sens mais à cause de la non-rétroactivité de l’arrêt de la Cour, même si celle-ci reconnaît que la loi est contraire à la Constitution, la taxe reste considérée comme valable en 2018 et 2019.
Le contribuable qui a éludé la taxe reste donc en fraude, même si la Cour lui donne raison… « Compte tenu du principe d’égalité devant l’impôt, il n’est pas exclu que les personnes encore redevables de la TCT puissent toujours être inquiétées par l’administration fiscale et ce, malgré l’‘illégalité’ de la taxe », dit Me Homans. Mais, tempère-t-il, « dans ce cas, ces contribuables pourront toujours contester les démarches de l’administration ».
Pourrait-il y avoir, à l’avenir, une nouvelle taxe répondant aux griefs de l’arrêt d’annulation?
C’est possible. « Il n’est pas exclu que le prochain gouvernement – qu’on pourrait attendre longtemps – remette sur la table la question de la taxation des fortunes », anticipe Me Grégory Homans.
Une hypothèse qu’évoque aussi François Parisis: « La taxe pourrait n’être annulée que provisoirement, le temps qu’un nouveau gouvernement se forme et vienne présenter au Parlement un texte amendé répondant aux critiques de la Cour constitutionnelle. »
Si ce scénario se vérifie, le nouveau gouvernement « profiterait de l’enseignement de l’arrêt de la Cour constitutionnelle pour adopter une TCT 2.0 corrigeant les écueils de la version précédente, notamment en généralisant son champ d’application », précise Grégory Homans. « Une telle nouvelle mouture de la TCT constituerait un véritable impôt sur la fortune financière (ISF, NDLR). Une analyse de droit comparé témoigne que l’ISF est une mesure contre-productive et ce, au regard de la mobilité accrue des personnes. Une fiscalité plus équitable passe principalement par une fiscalité plus réfléchie, moins stigmatisante et davantage efficiente. »
Une « TCT 2.0 » est-elle possible avant même qu’un nouveau gouvernement soit constitué?
Les partis Ecolo et Groen ont d’ores et déjà plaidé pour une loi correctrice et le sp.a a annoncé le dépôt d’une proposition de loi pour « réparer » la TCT. Ces initiatives pourraient-elles aboutir à une nouvelle taxe applicable dès 2020? En l’absence d’un gouvernement de plein exercice, rien n’est moins sûr.
« Un gouvernement en affaires courantes n’a pas la plénitude de ses pouvoirs », souligne Stéphanie Wattier, professeure de droit constitutionnel à l’Université de Namur. Or, pour qu’une proposition de loi devienne une loi effective, il faut que le Roi, c’est-à-dire le gouvernement, sanctionne et promulgue le texte.
Les affaires courantes le permettent-elles? « Un exécutif en affaires courantes peut agir dans trois cas de figure », explique Stéphanie Wattier. « Il y a, premièrement, les affaires de gestion journalière, comme le paiement des fonctionnaires et des pensions, ce qui permet de garantir la continuité de l’État. Deuxièmement, le gouvernement peut expédier les affaires courantes entamées ‘in tempore non suspecto’, c’est-à-dire avant la chute de l’exécutif. C’est, par exemple, le cas lorsqu’on a débuté la construction d’un hôpital public et que le gouvernement doit poser un acte pour en achever la construction. Troisièmement, les affaires urgentes sont également admises. Par exemple, si un gouverneur démissionne ou décède, le gouvernement peut nommer son successeur. »
Réintroduire une TCT améliorée entre-t-il dans l’un de ces cas de figure? « On pourrait peut-être essayer d’invoquer le fait que, sous la dernière législature, le gouvernement avait commencé à mener une politique de taxation de cette nature et qu’il faut donc la poursuivre », postule Stéphanie Wattier.
Mais au sein du gouvernement en affaires courantes, les libéraux (surtout flamands) ne seraient pas enclins à pousser une nouvelle taxe sur les comptes-titres…
Si une nouvelle taxe est adoptée, des recours sont-ils possibles?
Si une « TCT 2.0 » est adoptée durant les affaires courantes, « des recours contre les actes posés par le pouvoir exécutif sont possibles », signale Stéphanie Wattier. « Ils relèvent de la compétence de la section du contentieux administratif du Conseil d’État et des cours et tribunaux. »
Et même si un gouvernement de plein exercice instaure la nouvelle taxe, celle-ci pourrait être à nouveau combattue devant la Cour constitutionnelle. « La Cour n’a pas pris la peine d’examiner une série d’arguments car ceux qu’elle a retenus suffisaient déjà à annuler la taxe », précise François Parisis.
À cet égard, Laurent Donnay de Casteau, avocat au cabinet Osborne Clarke, qui a introduit l’un des recours contre la TCT, précise: « L’un des moyens que j’avais développés, qui comportait des arguments d’ordre technique sur le calcul et des points de détail de la taxe (tels que le calcul de la valeur moyenne des titres ou la non-déductibilité de dettes, NDLR), était bien plus fort que l’argument de la différence de traitement en cas de cotitularité. » Les angles d’attaque contre une nouvelle mouture de la taxe sur les comptes-titres ne manqueraient donc sans doute pas.
Si on a opté pour des titres nominatifs ou des assurances-vie pour échapper à la TCT, faut-il faire marche arrière?
Concernant les titres nominatifs, une conversion en titres dématérialisés inscrits en compte-titres peut se justifier dans certains cas. « Si cela permet de gagner en qualité de service, notamment pour ce qui est du détachement de coupon, du prélèvement du bon impôt et de la fourniture des documents nécessaires pour la déclaration fiscale, cela peut se justifier », explique François Parisis.
« Par exemple, pour les fonds de private equity, la fiscalité est complexe. Si la banque qui héberge le compte-titres fournit un service complet en matière fiscale, un transfert est pertinent. C’est aussi le cas si on effectue régulièrement des transactions: acheter et vendre des titres dématérialisés est plus aisé et moins coûteux que de le faire avec des titres nominatifs. Par contre, pour des actionnaires qui ont des participations familiales qu’ils gardent des années, ce transfert en compte-titres ne se justifie pas. »
Concernant les assurances-vie, l’investisseur a déjà payé 2% à l’entrée… « Là, il faut donc aller au bout de la logique et attendre que la police se dénoue d’elle-même », juge François Parisis. « Ici, il est urgent de ne rien faire… » Grégory Homans ajoute: « Tout dépend des objectifs civils et fiscaux poursuivis par le preneur d’assurance. Il convient de se rappeler que l’assurance-vie offre plusieurs solutions intéressantes dans le cadre d’une planification patrimoniale. »
Quel sera l’impact budgétaire?
L’annulation de la taxe pèsera sur le budget de l’État fédéral. En 2018, la taxe avait rapporté 226,4 millions d’euros. Ce montant ne figurera pas aux recettes de 2020.
D’autres taxes mal ficelées pourraient-elles être annulées?
Oui. Il y a des précédents, comme la fairness tax ou encore la Turteltaks. Mais le pire serait que les prochains gouvernements se préoccupent moins de la qualité de la loi fiscale, sachant que la non-rétroactivité n’empêchera pas son application sur un ou deux ans: « L’absence d’effet rétroactif de l’annulation de la TCT pourrait encourager le gouvernement à adopter des lois qu’il sait bancales et ce, par opportunisme », conclut Me Homans.
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