Publié le 11 mars 2019
Le nouveau droit successoral, entré en vigueur le 1er septembre 2018, a d’importantes incidences sur les donations d’avoirs financiers. Certains effets inattendus peuvent poser des difficultés à vos héritiers, lors du rapport notamment. Quelles sont les précautions à prendre et les solutions à envisager.
Pour apprécier l’impact de la réforme du droit civil successoral sur les donations, il convient de distinguer les donations réalisées avant son entrée en vigueur de celles réalisées consécutivement.
Si vous avez fait des donations avant le 1er septembre 2018, il vous reste six mois pour vous assurer que votre volonté initiale n’est pas contrariée par l’application des nouvelles règles. Il se pourrait en effet que votre planification patrimoniale s’en trouve chamboulée. Mais il est encore temps de réagir. N’hésitez donc pas à consulter un avocat ou un notaire pour faire le point et signer si nécessaire une déclaration de maintien. Grâce à cette disposition, les « anciennes règles » (NDLR: celles qui étaient en vigueur quand vous avez fait vos donations et établi votre planification en fonction) continueront à régir les donations que vous avez réalisées avant le 1er septembre 2018. (lire l’encadré).
La déclaration de maintien
Pourquoi?
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Toutefois, « si toutes les parties sont encore en vie et adhèrent à la planification familiale, il convient d’apprécier l’opportunité de réaliser un pacte successoral plutôt qu’une déclaration de maintien. Ce pacte offre en effet plus de souplesse, ce qui constitue un avantage considérable dans le cadre d’une organisation patrimoniale », suggère Grégory Homans, avocat au cabinet Dekeyser & Associés.
Si vous avez fait des donations après le 1er septembre 2018, il n’est pas inutile non plus de considérer l’impact des nouvelles règles sur celles-ci. Les automatismes du passé peuvent en effet être dépassés. Certains effets « inattendus » de la réforme risquent de poser quelques difficultés à vos futurs héritiers si vous faites preuve de légèreté.
Pour Grégory Homans, l’époque des donations réalisées par échange de courrier (recommandé) est révolue. « La matière est devenue plus technique et requiert davantage d’encadrement », insiste-t-il.
D’autres types de difficultés sont également susceptibles de se poser. Sans rentrer dans trop de détails, épinglons le fait que le conjoint survivant n’est désormais plus tenu au rapport successoral des donations. Cela signifie que le conjoint survivant ne devra pas partager les biens reçus de son époux avec les autres héritiers de celui-ci (généralement les enfants).
Autre difficulté: les donations qu’un parent souhaite consentir définitivement à l’un de ses enfants peuvent désormais être altérées par les droits successoraux du conjoint survivant. De quoi créer des situations inconfortables et risquer de mettre en péril la paix familiale.
Qu’est-ce que le rapport des donations?
Parmi les principales nouveautés et les repères qui ont changé, citons la modification des règles de rapport des donations.
De façon générale, rien ne vous empêche de faire donation de certains de vos biens de votre vivant. Mais à l’heure de votre décès, on vérifiera si ces libéralités n’ont pas lésé l’un ou l’autre de vos héritiers. Chacun est donc en principe tenu de restituer à la succession les biens qu’il aurait déjà reçus. On parle de rapport successoral. Et c’est à l’occasion de cette opération que les choses peuvent se compliquer.
Changement des règles de rapport: quel impact?
Avant le 1er septembre 2018, les donations de biens immobiliers étaient traditionnellement rapportables en nature à la valeur au jour du décès du donateur, tandis que les donations de biens mobiliers étaient rapportées à leur valeur au jour de la donation. Cette différence pouvait entraîner des situations délicates.
Désormais, le rapport des donations se fait à la valeur au jour de la donation (indexée jusqu’à la date du décès) et ce, indépendamment de la nature du bien.
Ce changement est susceptible d’entraîner d’autres situations indésirables. « Imaginons qu’une personne donne la pleine propriété de deux portefeuilles-titres d’une valeur identique à chacun de ses deux enfants et que la valeur de ces portefeuilles évolue différemment sans que cela ne soit imputable à la gestion des enfants (qui conservent la gestion discrétionnaire définie par leur parent donateur). Au décès du parent donateur, l’équité souhaitée par celui-ci ne sera plus respectée. Ce qui est susceptible d’altérer significativement la paix familiale », souligne Me Homans.
Autre situation du même type. Penons l’exemple d’un couple marié en séparation de biens avec deux enfants.
En 2019, le père fait donation à son fils aîné de la pleine propriété d’un portefeuille-titres d’une valeur de 500.000 euros. Dix ans plus tard, en 2029, le père décède en laissant un patrimoine de 100.000 euros. À cause d’un scénario de type Fortis, le portefeuille- titres que son fils avait reçu ne vaut plus que 200.000 euros.
En vertu de la réforme du droit civil successoral, le fils devra pourtant « restituer » à la masse successorale de son père non pas 200.000 mais 500.000 euros, c’est-à-dire la valeur du portefeuille au jour de la donation, de surcroît majorée par l’indexation au jour du décès! Cette obligation va donc léser gravement le fils gratifié qui doit rapporter un montant supérieur à la valeur du portefeuille au décès de son père.
« L’exemple ci-dessus illustre un scénario négatif pour la personne gratifiée. L’inverse est également possible. Imaginons que la valeur du portefeuille reçu par le fils atteigne au décès de son père 800.000 euros et non plus 500.000 euros. Le fils devra rapporter un montant sensiblement inférieur à la valeur du portefeuille au décès de son père. Cela peut être ressenti comme inéquitable par les autres héritiers du donateur (son autre fils et son épouse) », nuance Grégory Homans.
Il est donc essentiel de savoir exactement au moment de la donation ce que l’on fait et ce que l’on veut.
Comment garantir l’équité voulue par le donateur?
Il existe heureusement différentes pistes pour contrecarrer ces effets pervers.
La réserve d’usufruit
La solution la plus simple serait que le donateur conserve l’usufruit sur le portefeuille donné. Car dans ce cas, le rapport se fait toujours à la valeur au jour du décès et non à la valeur au jour de la donation. Il s’agit d’une exception aux modalités de rapport. En effet, on considère que la personne gratifiée n’a jusque-là pas « profité » pleinement du bien donné.
Certaines dispositions supplémentaires devront néanmoins être prises. « Si le donateur est marié et se réserve un usufruit sur le portefeuille donné, son conjoint recueillera automatiquement, au décès du donateur, l’usufruit sur le portefeuille. L’enfant gratifié ne deviendra alors propriétaire du portefeuille qu’au décès du conjoint survivant, ce qui n’est pas forcément le souhait du parent donateur. Il est toutefois possible d’aménager la situation pour priver le conjoint survivant de cet usufruit et ce, même sans son accord ».
Grégory Homans fait observer que « le service juridique des banques recommande généralement de réaliser des donations au moyen d’un pacte adjoint (document par lequel le donateur précise que le virement qu’il a effectué sans communication en faveur de la personne gratifiée constitue une donation). Ce type de donation ne permet cependant pas au donateur de conserver un usufruit sur les avoirs financiers donnés », met-il en garde. Une donation avec réserve d’usufruit suppose un acte notarié. « Les notaires belges sont tenus de prélever des droits d’enregistrement sur les actes de donations qu’ils passent. Ce n’est pas le cas de certains notaires étrangers (par exemple, les notaires suisses ou néerlandais) », ajoute l’avocat.
Le pacte successoral
Le donateur (le père) et la personne gratifiée (le fils dans notre exemple) peuvent conclure un pacte successoral précisant que la personne gratifiée devra, dans le cadre de ses obligations de rapport, restituer à la masse successorale la valeur du portefeuille au décès du père (et non la valeur au jour de la donation, indexée).
Le testament
Le testament offre également plusieurs possibilités pour garantir l’équité souhaitée par le donateur. Premièrement, « le donateur peut, par testament, léguer à son fils gratifié des avoirs financiers d’un montant équivalent à la différence entre la valeur du portefeuille ‘au jour de la donation indexée’ et sa valeur au jour du décès. Il est possible d’organiser ce legs pour qu’il soit net d’impôt », indique l’expert.
Une alternative pour le donateur consiste « à prévoir dans le cadre de son testament que le rapport des donations s’effectuera à la valeur au jour de son décès. En cas de non-respect de cette règle, le donateur prévoit que la partie contrevenante sera réduite à sa réserve héréditaire. Mais la légalité de cette clause pénale est controversée », précise Me Homans.
Le procédé du double acte
Le père donne concomitamment à son fils et à sa fille respectivement la moitié de ses biens. À son décès, les deux enfants devront chacun rapporter les mêmes biens à la même valeur.
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