Par Me Grégory Homans, avocat-associé
Le passage d’une société familiale d’une génération à l’autre peut être favorisé en garantissant à l’actionnaire-donateur de conserver le contrôle de la société. Il peut ainsi continuer à exercer le droit de vote aux assemblées générales, à gérer la société au quotidien, à percevoir les dividendes, à pouvoir vendre les titres à ses propres conditions, etc.
Il existe plusieurs manières d’atteindre cet objectif. Parmi celles-ci:
1. constitution d’une société simple (ex-société de droit commun): il s’agit d’une société sans personnalité juridique qui est transparente sur le plan fiscal ; sa constitution ne requiert pas l’intervention d’un notaire 2. apport des titres de la société familiale à la société simple 3. donation de la nue-propriété des titres émis par la société simple au profit des enfants de l’actionnaire-donateur |
Ce schéma peut être aménagé pour que les enfants gratifiés ne reprennent les «rênes» de la société qu’à partir d’un âge de raison fixé par l’actionnaire-donateur et ce, même si cet âge n’est atteint qu’après le décès du donateur. Cela suppose que les statuts de la société simple soient correctement établis.
Suite à l’adoption du nouveau Code des sociétés et des associations (CSA) dont l’entrée en vigueur est prévue le 1ermai 2019, du nouveau Code du droit économique, du registre UBO et de certaines nouveautés fiscales, il est prudent de s’assurer que le schéma décrit ci-dessus rencontre toujours les objectifs initiaux du donateur. Dans certains cas, des aménagements seront requis.
Quelles sont les nouvelles obligations pour les sociétés simples et leurs incidences ?
Inscription obligatoire à la Banque Carrefour des Entreprises
Une société simple constituée avant le 1ernovembre 2018 doit s’immatriculer à la Banque Carrefour des Entreprises (BCE) au plus tard le 30 avril 2019 (cette obligation s’applique immédiatement pour les sociétés constitué à partir du 1ernovembre 2018). Lors de cette inscription, il convient de renseigner notamment la dénomination de la société, son siège social, sa date de constitution, l’identité de ses fondateurs et de ses mandataires (e.a. son gérant). Ces informations seront librement accessibles au grand public. Par contre, les statuts de la société et le détail de ses avoirs ne devront pas être communiqués à la BCE.
Déclaration au registre UBO
L’objectif du registre des bénéficiaires économiques effectifs (registre «UBO») est d’identifier toutes les personnes physiques propriétaires d’entités juridiques belges. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Les associés d’une société simple détenant au moins 25% des parts sociales ou des droits de vote devront être renseignés dans le registre UBO et ce, au plus tard le 30 septembre 2019. Si aucun des associés ne détient au moins 25% des parts ou des droits de vote, l’identité du gérant de la société devra être renseignée.
L’exactitude des données devra être confirmée chaque année. En cas de changement, le registre devra être mis à jour dans le mois de la modification.
Ce registre pourra être librement consulté par les autorités pénales et fiscales ainsi que par le grand public. Les personnes privées, sans lien avec la société consultée, ne disposeront toutefois que d’un accès limité à certaines informations.
Obligations comptables
Les sociétés simples constituées avant le 1ernovembre 2018 doivent tenir une comptabilité au plus tard à partir du 1erjanvier 2020 (cette obligation s’applique immédiatement pour les sociétés constitué à partir du 1ernovembre 2018). Elles doivent en principe tenir une comptabilité en partie double, sauf si leur chiffre d’affaires n’excède pas 500.000 € (dans ce cas, une comptabilité simplifiée suffit: tenue d’un journal financier, d’un journal des achats, d’un journal des ventes et d’un livre d’inventaire, etc.).
Compte tenu que la notion de chiffre d’affaires n’inclut pas les revenus purement financiers, de nombreuses sociétés simples pourront en principe se limiter à la tenue d’une comptabilité simplifiée.
Cette comptabilité (et les documents sur lesquels elle s’appuie) doit être conservée pendant au moins 7 ans. A ce stade, elle ne devra pas (encore ?) être déposée à la Banque nationale.
Reconnaissance d’un patrimoine social
Suite à l’entrée en vigueur du CSA, la société simple disposera d’un patrimoine d’affectation et ce, même si elle est dépourvue de personnalité juridique. Ce patrimoine est composé des apports initiaux des associés et du résultat de l’activité de la société. Ceci implique une séparation entre le patrimoine de la société simple et celui de ses associés. Les créanciers des associésne peuvent pas saisir directement les avoirs de la société. Par contre, les créanciers de la sociétépeuvent saisir de leur côté tant le patrimoine de la société que celui des associés.
Responsabilité solidaire des associés
Les associés de la société simple sont désormais tenus solidairement de l’ensemble des dettes de la société (et non plus uniquement à concurrence de leur apport à la société simple). Cela signifie que les créanciers de la sociétépeuvent réclamer le remboursement de la totalité de leur créance à un des associés, à charge pour celui-ci d’exiger des autres associés qu’ils le dédommagent chacun à concurrence de sa participation dans la société. Cette nouvelle responsabilité solidaire des associés pourrait ne valoir que pour les dettes de sociétés simples constituées après le 1ernovembre 2018.
Résolution partielle du contrat de société
En cas de manquement d’un associé, les autres associés pourront, dans certaines circonstances, mettre fin au contrat de société uniquement à l’égard de l’associé contrevenant. Cette faculté est à manier avec prudence. En effet, suite à cette résolution partielle, l’équilibre entre les associés restant peut être significativement modifié.
Discrétion
Le grand public a désormais accès à certaines informations -autrefois confidentielles- sur les sociétés simples. Certaines données sont en effet consultables via la BCE et le registre UBO. Elles sont accessibles sur base du nom de la société, de son numéro BCE ou de son adresse, mais pas sur base de l’identité des fondateurs ou des gérants. Par souci de discrétion, il peut être opportun, avant de procéder à l’inscription de la société simple à la BCE et à la déclaration UBO, de modifier la dénomination de la société simple pour ôter toute référence au nom de famille du fondateur et de transférer son siège social hors du domicile du fondateur.
Au niveau fiscal
Flandre
L’’administration fiscale flamande (VLABEL) avait adopté deux positions portant sur l’utilisation d’une société simple dans le cadre d’une planification patrimoniale:
- la première préconisait l’enregistrement de la donation de la nue-propriété de parts d’une société simpledont le sous-jacent est composé de titres d’une société familiale pour éviter que la personne gratifiée soit automatiquement redevable, au décès du donateur, de droits de succession sur les parts reçues;
- la deuxième préconisait, en cas de démembrement de la propriété des titres d’une société simple (usufruit / nue-propriété) elle-même propriétaire des parts d’une entreprise familiale, à la société simple de verser systématiquement à l’usufruit l’ensemble des dividendes distribués par l’entreprise familiale. A défaut d’effectuer ce versement en faveur de l’usufruitier, le nu-propriétaire serait redevable, au décès de l’usufruitier, de droits de succession sur la prise de valeur de la société simple liée à l’accumulation de profits provenant de la société familiale.
Ces deux positions de VLABEL ont récemment été annulées par le Conseil d’Etat, ce qui rend la société simple à nouveau intéressante comme outil d’organisation patrimoniale en Flandre.
Bruxelles et Wallonie
L’administration fiscale fédérale, compétente pour les résidents fiscaux bruxellois et wallons, a confirmé, par la voix du Ministre des Finances, qu’elle suivrait cette décision du Conseil d’Etat.
Source : MoneyStore
Comment transférer une entreprise familiale à ses enfants via une société simple