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Exit tax – le Conseil d’État met en garde le gouvernement

Publié le 13 mai 2025

Le projet de taxe visant à dissuader les entreprises de quitter la Belgique risque de violer le principe de la liberté d’établissement, juge le Conseil d’État.

Gare aux foudres de l’Europe. Dans un avis dont L’Écho a pu prendre connaissance, le Conseil d’État avertit que le projet d’exit tax du gouvernement De Wever risque d’entraver la liberté d’établissement prévue par le droit européen.

La section de législation de la haute juridiction estime même que l’exécutif fédéral devrait renoncer à cette mesure s’il ne parvenait pas à fournir de justification suffisante à cette entorse aux principes européens.

La nouvelle exit tax (taxe à la sortie, littéralement), censée entrer en vigueur en juillet, vise à contrer l’exil d’entreprises belges: si une entreprise belge se laisse tenter par les sirènes de l’étranger et déplace son siège social hors des frontières du Royaume, un nouvel impôt sera perçu à cette occasion.

Concrètement, lors du transfert du siège de la société hors Belgique, on considère fictivement que la société est liquidée et que toute la valeur qu’elle a accumulée est distribuée aux actionnaires, ce qui constitue un dividende taxable à 30%.

Le problème est que ce régime contrarie le droit européen. « La différence de traitement qui est créée par la réglementation en projet entre, d’une part, les actionnaires d’une société qui maintient son siège en Belgique et, d’autre part, les actionnaires d’une société qui transfère son siège vers un autre État, peut dissuader une entreprise de déplacer son siège vers un autre État et peut être considérée comme une entrave à la liberté d’établissement », estime le Conseil d’État.

 

Justification inapplicable dans ce cas-ci

Une telle atteinte à ce principe européen fondamental pourrait toutefois se justifier par une raison impérieuse d’intérêt général. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a notamment admis qu’un État adopte une telle taxe pour préserver son pouvoir d’imposition. La Belgique exploite d’ailleurs cette justification à l’impôt des sociétés: une entreprise qui s’expatrie voit ses plus-values latentes taxées à 25%.

C’est admis par l’Europe parce que le départ de cette société fait perdre à la Belgique son pouvoir d’imposition sur les gains de l’entreprise expatriée. La CJUE reconnaît ainsi que les États peuvent entraver la liberté d’établissement si c’est dans le but de maintenir une répartition équilibrée de leurs pouvoirs d’imposition respectifs.

Mais l’exit tax prévue par le gouvernement concerne, quant à elle, les actionnaires de la société qui quitte le Royaume: le projet leur attribue un dividende fictif qui sera taxé à 30%. Or, si ces actionnaires restent en Belgique, les dividendes qu’ils percevront à l’avenir pourront continuer à être taxés en droit belge: il n’y a donc pas de perte du pouvoir d’imposition par la Belgique.

« Vu que l’État belge ne perd pas son pouvoir d’imposition sur cette catégorie d’actionnaires, on n’aperçoit pas en quoi la réglementation en projet contribuerait à l’objectif de maintenir la répartition du pouvoir d’imposition entre États membres », souligne le Conseil d’État.

Ce dernier concède que la CJUE a admis une telle taxe à l’égard d’un trust de droit anglo-saxon. Mais cette structure est très différente des sociétés de droit belge que vise l’exit tax en projet. Le Conseil d’État doute donc que cette exception puisse s’appliquer.

 

Que fera le gouvernement ?

« Si un raisonnement analogique peut être envisagé, il est toutefois permis de s’interroger sur l’assimilation d’un trust dépourvu de personnalité juridique à une société dotée de la personnalité juridique », analyse Grégory Homans, avocat associé chez Dekeyser & Associés. Cependant, « il n’est pas sûr que le gouvernement n’exploitera pas cette brèche« , estime Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law.

Reste que la conclusion du Conseil d’État est implacable. « À la lumière de ce qui précède, la section de législation du Conseil d’État n’aperçoit pas en quoi la réglementation en projet serait compatible avec la liberté d’établissement », cingle l’avis. « Si les auteurs de l’avant-projet ne peuvent pas fournir de motivation complémentaire et suffisante à ce sujet, ils doivent renoncer à la réglementation en projet. »

« On peut se demander si le gouvernement va néanmoins s’engouffrer dans la brèche ouverte par le Conseil d’État, et apporter une justification complémentaire convaincante, ou bien s’il va cibler davantage cette exit tax, pour épargner, par exemple, les actionnaires restant en Belgique », analyse Me Philippe.

Enfin, si l’exécutif maintient son projet tel quel, il s’expose à de possibles recours. « Si cette nouvelle exit tax voit le jour en son état actuel, le risque que la question de sa conformité soit portée devant la CJUE n’est pas exclu », estime Me Homans. Le législateur fédéral est prévenu.

DEKEYSER & ASSOCIES_ECHO_Exit tax - le Conseil d'État met en garde le gouvernement_13.05.2025

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