Publié le 21 mars 2023
Source : L’Echo, le 21 mars 2023
L’apport non rémunéré est une nouvelle forme de donation qui peut être utilisée dans le cadre d’une société simple. De quoi s’agit-il ? Quel est l’intérêt ?
L’entrée en vigueur du nouveau Code des sociétés a vu apparaître de nouvelles formes de donation, dont l’apport non rémunéré, qui trouve une application dans le cadre d’une société simple familiale (lire encadré).
Grégory Homans, avocat, associé-gérant du Cabinet Dekeyser & Associés, s’est penché sur cette technique de planification successorale.
Dans le cadre d’une société simple familiale (parents-enfants) il est possible de faire une donation indirecte de deux manières.
1. Lors de la constitution d’une société familiale
Dans ce cas, cela va se traduire par un transfert indirect de plus-values.
Concrètement, des apports inégaux en valeur sont combinés avec l’émission de titres nominatifs à vote multiple.
Exemple :
Les parents apportent 200.000 euros et se voient attribuer 4 actions à double droit de vote.
Les deux enfants apportent chacun 25.000 euros et reçoivent une action à vote simple.
Le patrimoine global de la société est par conséquent de 250.000 euros
Les six actions (4+2) correspondent à 10 voix.
=> Si lors de l’apport l’action des enfants a été émise en contrepartie de 25.000 euros, dès que la société est créée, cette action enregistre une plus-value : elle vaut 41.666 euros (250.000/6).
2. Lors d’une augmentation d’apport sans émission de nouveaux titres
Selon le Code des sociétés et associations, les parts sont, en principe, proportionnelles aux apports familiaux. Mais si le patrimoine de la société simple est mobilier, on peut concevoir qu’à la suite de la création de ladite société, les parents fassent un apport complémentaire, sans modification du registre des parts.
Les parents vont ainsi transférer de façon indirecte (via le patrimoine de la société familiale) des valeurs à leurs enfants. « On peut soutenir qu’il s’agit d’une donation, car l’intention libérale peut être établie dans le chef des parents qui, par le biais de la SRL, font glisser du patrimoine qui leur était personnel dont les bénéficiaires sont, indirectement via le patrimoine sociétaire, les enfants », note Me Grégory Homans.
« Si l’intention libérale est établie dans le chef des parents, cet apport non rémunéré peut constituer une donation indirecte en faveur des enfants. La donation directe impose normalement l’établissement d’un acte de donation. Dans ce cas-ci, l’acte portant donation n’existe pas. Les statuts de la société ou l’AG (dans les deux cas, en forme notariée) constituent des actes neutres susceptibles de créer une donation indirecte », détaille l’avocat.
Notez que cette donation ne doit pas obligatoirement être enregistrée.
Variation de l’exemple :
Après avoir constitué la SRL, les parents font un apport complémentaire de 200.000 euros qui ne sera pas rémunéré par l’émission de nouvelles actions.
De ce fait, les actions des enfants enregistrent une nouvelle plus-value. En valeur constante, leur action vaut désormais 75.000 euros (450.000/6).
Et en cas d’actionnariat démembré ?
Prenons maintenant le cas où les parents sont usufruitiers de la totalité des titres émis par la société familiale, tandis que leurs deux enfants en sont nus-propriétaires.
Si les parents réalisent un apport complémentaire non rémunéré à la société, la valeur des parts va augmenter et tous les actionnaires vont s’enrichir. « Dans ce cas spécifique, il semble toutefois possible de soutenir que cet apport ne constitue pas une donation au sens du droit civil. En effet, une libéralité suppose notamment la réunion des conditions suivantes », observe l’avocat :
• l’appauvrissement du donateur;
• l’enrichissement corrélatif de la personne gratifiée;
• l’intention libérale dans le chef du donateur;
• l’acceptation par la personne gratifiée.
Vu que les enfants nus-propriétaires ne participent, en principe, pas à l’AG autorisant cet apport complémentaire, il peut être soutenu qu’ils n’acceptent pas la « donation ». « Il est permis de se demander si cet apport non rémunéré ne constituerait pas un acte hybride susceptible d’être à ce jour exonéré d’impôt« , suggère Grégory Homans.
La société simple : pour quel usage ?
La société simple est souvent utilisée dans le cadre de la structuration et de la transmission d’un patrimoine mobilier. Son atout ? Elle permet notamment de distinguer la propriété du patrimoine et le contrôle de celui-ci, dans les cas suivants.
• Faire donation d’avoirs financiers tout en conservant le droit de les gérer, de recueillir les revenus qu’ils produisent et de profiter des plus-values qu’ils génèrent. Moyennant certaines conditions, les donateurs peuvent continuer à disposer de ces avoirs à leur propre profit.
• Faire donation de l’entreprise familiale à la génération suivante tout en gardant les rênes pendant une certaine période, le temps que les enfants se familiarisent à la gestion et de permettre à celui qui serait déjà actif dans l’entreprise d’en assumer la direction sans interférence de ses frères, tout en garantissant l’équité entre eux. Il est possible de faire en sorte que le parent-donateur puisse vendre l’entreprise familiale à un tiers sans que les enfants aient la possibilité de s’y opposer ni disposer directement du prix obtenu.
• Moyennant conditions et aménagements, un parent divorcé peut transmettre des biens à son enfant mineur sans crainte que l’autre parent ne puisse gérer ce patrimoine si l’enfant est encore mineur au décès du donateur. « Nous rencontrons fréquemment ce cas dans notre pratique », assure Me Homans.
• Le donateur peut s’assurer que les personnes gratifiées ne disposeront pleinement des avoirs donnés (en particulier, du droit de les gérer) que lorsqu’ils auront atteint l’âge de raison (maturité, connaissances et expérience requise). Le donateur peut définir ce moment.