Publié le 22 août 2022
Tous vos comptes bancaires (et depuis peu, leur solde) sont répertoriés dans une banque de données. Qui y a accès? Dans quel but? Selon quelles modalités?
En 2021, le registre des comptes en banque et des contrats d’assurance a été consulté à 153.000 reprises, soit trois fois plus qu’en 2020. Et la tendance s’est poursuivie au premier semestre 2022 (+64% sur un an).
Ces données sensibles ne sont certes accessibles qu’à quelques personnes, dans l’exercice de leur activité professionnelle, dans un cadre juridique strict et dans le respect de la vie privée des personnes concernées.
Mais comment est constituée cette banque de données? Qu’est-ce qui justifie une telle curiosité? Qui a accès à votre intimité financière? Jusqu’à quel point? Qu’y cherche-t-on? Dans quel but?
Qu’est-ce que le PCC?
Depuis 2014, la BNB tient un registre des numéros des comptes en banque et contrats financiers de chaque Belge, ainsi que les transactions financières impliquant des espèces, dans une banque de données. Objectif: lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et les autres grandes formes de criminalité.
À l’origine, seul le fisc pouvait consulter le PCC (point de contact central des comptes et contrats financiers). Mais, depuis deux ans, le registre est également accessible au SPF Justice, aux notaires et aux huissiers de justice. « L’étendue des données consultables varie selon la qualité de la personne consultant le PCC », précise Me Grégory Homans, associé gérant du cabinet d’avocats Dekeyser & Associés.
Depuis 2015, dans le cadre de l’échange automatique de renseignements financiers entre États, le registre contient également les informations sur les comptes que les résidents belges détiennent à l’étranger. Les contribuables concernés sont tenus d’en communiquer eux-mêmes le numéro, dans leur déclaration fiscale. La déclaration ne doit pas être répétée chaque année. Il faut en revanche confirmer que le compte a effectivement été déclaré au PCC.
Et cela ne s’arrête pas là. Début 2022, le spectre s’est considérablement élargi. Votre intimité financière est à nu puisque le solde de vos comptes est également disponible au PCC.
Les institutions financières opérant en Belgique doivent en effet fournir les soldes au 30/06 et au 31/12 des comptes bancaires et de paiement, les montants globalisés au 30/06 et au 31/12 des contrats d’investissements et connexes, ainsi que les montants globalisés au 31/12 des polices d’assurance-vie. Le délai de conservation des données communiquées au PCC est de 10 ans.
« Concernant les avoirs à l’étranger, il convient d’épingler plusieurs différences entre les assurances-vie et les comptes bancaires en matière de reporting. Par exemple, il revient au contribuable de renseigner son compte bancaire ouvert auprès d’une banque étrangère au PCC, alors que pour les assurances-vie étrangères, cette obligation incombe directement aux compagnies étrangères », précise Me Homans. « À ce jour, il n’existe pas d’obligation déclarative des cryptomonnaies (sauf dans certaines situations spécifiques) », ajoute-t-il.
Alors, qui peut consulter le PCC?
Le fisc
À l’origine uniquement destinée à servir de source d’information pour les services de contrôle et de recouvrement de l’impôt sur le revenu, la base de données peut désormais également être consultée pour le contrôle et la perception d’autres taxes (TVA, droits de douane et d’accises, droits d’enregistrement, droits de succession, etc.).
L’administration fiscale n’a pas libre accès aux données du PCC. Elle ne peut en effet agir qu’en présence d’indices de fraude, issus par exemple du datamining ou dans le cadre du recouvrement de l’impôt. Pas question donc de partir au hasard à la pêche aux informations. « La consultation n’est ouverte qu’à certains agents du fisc dans le cadre d’une procédure stricte établie par le SPF Finances, qui gère l’autorisation et l’authentification des accès », précise la BNB.
D’un point de vue pratique, l’administration fiscale ne peut solliciter une banque que si le contribuable refuse de lui communiquer des informations sur ses comptes bancaires, qu’il les dissimule ou ne donne pas de réponse satisfaisante. Dans ce cas, vu que le fisc ignore auprès de quel(s) établissement(s) le contribuable détient un ou des comptes, l’accès à la banque de données lui épargne de fastidieuses recherches et lui fait gagner beaucoup de temps.
Francis Adyns, porte-parole du SPF Finances, indique qu’en réalité, le fisc utilise surtout le registre à des fins de recouvrement des arriérés d’impôts. « La consultation du registre est un élément essentiel de notre politique de recouvrement et nous sert à analyser la solvabilité de nos débiteurs. »
Les notaires
Les notaires peuvent uniquement consulter le PCC pour leurs recherches dans le cadre d’une déclaration de succession. Donc pour des personnes décédées. Les héritiers n’étant pas forcément au courant de l’existence de tous les comptes bancaires et contrats que détenait le défunt, les notaires doivent consulter le registre pour s’assurer de l’exhaustivité des déclarations de succession qu’ils introduisent. « Les notaires ne peuvent voir que les numéros de compte. Ils n’ont pas accès au solde des comptes », précise Jan Sap, directeur général de la Fédération des notaires, Fednot.
Les huissiers
Les huissiers de justice n’ont pour leur part accès au PCC que via une requête déposée auprès du juge des saisies. « Nous ne pouvons consulter le PCC que dans le cadre d’une mesure conservatoire, alors que nous sommes déjà détenteurs d’un titre exécutoire belge, qui permet d’exécuter de façon générale des saisies sur les biens meubles, sur le salaire et sur les immeubles des gens. Quand il s’agit de consulter leurs comptes en banque, nous sommes contraints, non seulement de passer par le juge, mais également de justifier dans le chef du requérant (créancier) l’urgence et de la sévérité de la situation et d’autres critères. In fine, nous n’obtenons donc souvent pas l’autorisation: seule une cinquantaine de demandes de consultation du PCC par un huissier sont effectivement acceptées chaque année », explique Quentin Daubray, président et porte-parole de la Chambre nationale des huissiers de justice.
Les huissiers, qui sont les recouvreurs des créances privées (et publiques), n’ont en outre accès qu’aux numéros de compte, pas aux soldes, à la différence du receveur des contributions directes, le recouvreur de l’État. Une différence de traitement dénoncée par Quentin Daubray.
Les huissiers réclament un accès direct au PCC (comptes et soldes) dans le cadre de l’exécution d’une décision de justice. « La question est actuellement en discussion », explique Quentin Daubry. « Cela éviterait d’exposer des frais inutiles de saisie-arrêt (procédure lourde et rigoureuse) à charge de la partie débitrice qui n’obtiendra rien s’il n’y a que 3 euros sur le compte et qu’on ne le savait pas », fait-il valoir. Tout en étant conscient que vu qu’à ce stade, les données ne sont mises à jour que tous les six mois, il n’y a jamais de garantie totale quant au solde des comptes…
Parmi les autres personnes habilitées à recevoir l’information figurent d’autres fonctionnaires du SPF Finances, des fonctionnaires du SPF Justice, certains collaborateurs de l’administration fiscale flamande et la Cellule de traitement des informations financières (CTIF).
Vous avez accès aux données enregistrées à votre nom…
Lors de l’ouverture d’un compte bancaire ou de la conclusion d’un contrat, l’établissement financier informe le client que ses données sont communiquées au PCC.
Vous disposez d’un droit de regard, auprès de la BNB, sur les données personnelles enregistrées à votre nom au PCC. Vous pouvez introduire une requête écrite, datée et signée, avec copie recto verso de votre carte d’identité, ainsi que vos nom, prénom, date de naissance et adresse complète, auprès de la BNB. Le résultat de la consultation sera envoyé sans frais. « Le contribuable dispose du droit de rectifier ou supprimer les données reprises à son sujet au PCC si celles-ci sont erronées », souligne Grégory Homans.
… et la liste de ceux qui les ont consultées
Vous pouvez également voir la liste des institutions habilitées à recevoir l’information et qui ont consulté au cours des 6 derniers mois les données enregistrées à votre nom. Il faut, pour ce faire, adresser une demande écrite, datée et signée au PCC (suivant la même procédure que pour la consultation des données enregistrées à votre nom).
Fin du secret bancaire ?
Certains concluent que ces évolutions sonnent la fin du secret bancaire en Belgique. Me Homans rappelle qu’en fait, « il n’existe plus de secret bancaire dans notre pays depuis un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 1978, qui consacrait un simple devoir de discrétion non opposable à l’administration fiscale. Autrement dit, si cette dernière agit dans les règles pour interroger une institution financière, celle-ci ne peut pas s’y opposer ».
Source : L’Echo, le 22 août 2022
Dekeyser & Associés - L'Echo - 22 août 2022 - Qui a un droit de regard sur vos comptes bancairesPour télécharger ou imprimer ce document PDF, veuillez cliquer sur l'icon ci-dessus