Publié le 24 avril 2020
Une récente circulaire fiscale empêche des comptes d’épargne étrangers d’être exonérés du précompte belge. Des fiscalistes y voient un nouvel angle d’attaque potentiel pour la Commission européenne.
La Belgique tend à l’Europe le bâton pour se faire battre. Une réglementation fiscale récente est tellement rigoureuse à l’égard des comptes d’épargne étrangers que la Commission pourrait réprimander l’État belge.
Dans une circulaire datée du 21 février, l’administration fiscale belge détaille les critères auxquels les livrets étrangers doivent répondre pour pouvoir bénéficier, comme les comptes d’épargne belges, d’une exonération de précompte mobilier. Mais selon des avocats fiscalistes, ce document est si restrictif que la Commission européenne pourrait lancer une nouvelle procédure contre la Belgique à ce sujet.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a déjà condamné l’État belge à deux reprises, en 2013 et en 2017, en matière de fiscalité des comptes d’épargne. Pourquoi? Parce que l’exonération de précompte sur un maximum de 990 euros (montant de 2020) d’intérêts des livrets est assortie de conditions très spécifiques, ce qui aboutit, en pratique, à exclure les comptes d’épargne étrangers du bénéfice de cet avantage fiscal.
Ce régime constitue une entrave au principe européen de libre prestation de services puisque les banques étrangères ne peuvent pas proposer aux consommateurs belges des livrets aussi concurrentiels que ceux des institutions financières établies en Belgique.
Critères analogues
L’État belge avait bien tenté d’évacuer le problème en remaniant cet avantage fiscal: celui-ci s’applique désormais aussi aux comptes d’épargne étrangers, pourvu que ces derniers respectent, dans leur pays, des critères analogues à ceux de la réglementation belge.
Mais la justice européenne avait à nouveau tancé l’État belge en estimant que les critères analogues en question ne pouvaient en aucun cas « soumettre à des conditions l’accès au marché bancaire belge à des prestataires de services établis dans d’autres États membres ».
Plusieurs juridictions belges, telles que les cours d’appel d’Anvers et de Gand, ont déjà appliqué à plusieurs reprises cette jurisprudence européenne dans des affaires qui leur étaient soumises. Mais la circulaire que l’administration fiscale vient de publier ne tient aucun compte de cette jurisprudence de plus en plus étoffée.
Ce texte administratif dispose notamment qu’ »un dépôt réglementé dont la rémunération ne comporte pas une double rétribution (intérêt de base et prime de fidélité) ne peut être considéré comme répondant à des critères analogues » à ceux de la loi belge. « Cette exigence ne constitue-t-elle pas une discrimination indirecte alors que la jurisprudence, tant belge qu’internationale, consacre le fait que cette prime constitue une
spécificité propre au marché belge? », s’interroge Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés.
Cas concrets
Détail piquant: en se penchant, dans sa circulaire, sur quatre « cas concrets », à savoir les dépôts d’épargne de Rabobank aux Pays-Bas, le livret A français, le compte épargne logement français et le bonusrenterekening néerlandais d’ING, l’administration fiscale conclut… qu’aucun de ces quatre produits d’épargne ne respecte des critères analogues à ceux de la loi belge.
« Cela pourrait amener à penser qu’aucun compte épargne étranger ne pourra rencontrer ces critères », estime Me Grégory Homans. « Cette vision restrictive du critère de conditions analogues tend à exclure les revenus produits par un compte épargne étranger du bénéfice de l’exonération du précompte mobilier. Cela pourrait encourager les Belges à préférer loger leur épargne auprès de banques belges plutôt qu’auprès de banques étrangères, ce qui constituerait une entrave à la libre circulation des capitaux et à la libre prestation de services. »
Dans un article publié dans la revue « Actualités fiscales » de Wolters Kluwer, l’avocate Chantal Hendrickx juge la nouvelle réglementation fiscale « décevante ». Selon elle, « avec cette circulaire, le fisc donne des munitions à la Commission européenne pour lancer une nouvelle procédure d’infraction contre la Belgique ».
Grégory Homans (Dekeyser & Associés) abonde en ce sens: « À ce stade, il ne peut pas être exclu que la Commission européenne intente, moyennant certaines conditions, une nouvelle action en manquement contre la Belgique au regard de cette discrimination indirecte latente. »
En attendant, la justice belge continue son travail de sape. D’après nos informations, la cour d’appel de Bruxelles devrait prochainement se prononcer, elle aussi, sur l’octroi de l’exonération de précompte mobilier à des comptes d’épargne étrangers.
L'Europe risque à nouveau de tancer la Belgique sur l'épargnePour télécharger ou imprimer ce document PDF, veuillez cliquer sur l'icon ci-dessus