Publié le 20 novembre 2019
L’administration fiscale se pourvoit en cassation contre la décision de la cour d’appel de Bruxelles qui avait donné raison à un contribuable ayant réclamé l’imputation d’une part forfaitaire du précompte français sur l’impôt payé en Belgique.
Les Belges détenant des actions françaises vont devoir s’armer de patience s’ils veulent récupérer une partie du précompte mobilier retenu sur leurs dividendes. L’administration fiscale ne semble pas disposée à se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait donné raison à un contribuable dans cette matière en 2017.
D’après une réponse du ministre des Finances à une question du député Servais Verherstraeten (CD&V), publiée le 27 septembre, le fisc a en effet introduit un nouveau pourvoi en cassation contre un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 septembre 2018 qui était, lui aussi, favorable au contribuable au sujet du double précompte franco-belge.
Le fisc campe sur sa position
59,50 euros Sur un dividende de 100 euros brut, la France prélève 15 euros (15%). Puis la Belgique prélève 30% sur les 85 euros restants, ce qui laisse un dividende net de 59,50 euros à l’actionnaire belge. L’impôt total atteint ainsi 40,5%. |
Le problème du double précompte mobilier sur les dividendes d’actions françaises détenues par des Belges remonte donc, une fois de plus, à l’échelon le plus élevé de la justice belge. En attendant que la Cour de cassation se prononce à nouveau, l’administration fiscale ne modifie pas sa position: elle refuse d’imputer le précompte français sur le précompte belge.
Les fiscalistes conseillent toutefois aux investisseurs concernés d’introduire un recours à titre conservatoire, dans l’attente de l’épilogue de cette saga judiciaire.
Un impôt de 40,5%
Quand un Belge perçoit le dividende d’une action française, il est taxé deux fois. La France retient un précompte mobilier de 15% (si les démarches pour réduire le précompte français de moitié ont bien été effectuées: voir encadré), puis la Belgique applique son propre précompte, de 30%. Sur un dividende de 100 euros, la France prélève donc 15 euros. Puis la Belgique prélève 30% sur les 85 euros restants, ce qui laisse un dividende net de 59,50 euros à l’actionnaire belge. L’impôt total atteint ainsi 40,5%…
Ce recours est difficilement compréhensible au regard de la position claire de la Cour de cassation
La convention franco-belge préventive de double imposition prévoit que l’impôt belge doit être diminué « de la quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE, NDLR) déductible dans les conditions fixées par la législation belge, sans que cette quotité puisse être inférieure à 15%« du montant obtenu après application de la retenue à la source française.
La Belgique a supprimé unilatéralement le régime de la QFIE en 1988. Depuis, le fisc considère que le précompte français ne doit plus être retranché du précompte payé en Belgique.
Le rappel à l’ordre de la Cour de cassation
Mais dans un arrêt du 16 juin 2017, la Cour de cassation a rappelé l’administration fiscale à l’ordre. Pour la haute juridiction, peu importe que la loi belge ne prévoie plus de régime de QFIE: comme la convention préventive de double imposition mentionne elle-même qu’une QFIE forfaitaire de minimum 15% doit venir en déduction de l’impôt belge, cette règle doit s’appliquer.
Le casse-tête du double précompte sur dividendes françaisEn France, un précompte de 30% est en principe retenu sur les dividendes d’actions. Toutefois, en application de la convention préventive de double imposition franco-belge, les actionnaires belges peuvent réclamer le remboursement de la moitié de cette retenue à la source. Cela implique des démarches administratives dont la complexité varie en fonction de l’institution financière auprès de laquelle l’actionnaire belge détient son compte-titres. Certains intermédiaires se chargent des démarches auprès de l’administration fiscale, tandis que d’autres laissent l’investisseur se débrouiller seul… Par ailleurs, la France a récemment réduit le précompte sur les dividendes perçus par des étrangers à 12,8%. Mais la mise en œuvre de cette réduction semble être, elle aussi, à géométrie variable. Enfin, pour ne rien simplifier, en vertu d’un arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, la Belgique est censée imputer une QFIE (quotité forfaitaire d’impôt étranger) de 15% sur le dividende d’actions françaises, ce qui devrait aboutir à une réduction du précompte de 30% appliqué en Belgique. Mais le fisc belge refuse de se conformer à cette jurisprudence, comme le démontre son nouveau pourvoi en cassation. |
La cour d’appel d’Anvers, dont une première décision avait conduit à cet arrêt de la Cour de cassation, doit à présent appliquer cette jurisprudence de la haute juridiction sur le fond. D’après la réponse du ministre évoquée ci-avant, « une audience de plaidoiries est fixée au 26 novembre 2019 » dans cette affaire et « l’arrêt est attendu environ un mois plus tard ».
Mais sans attendre le dénouement de ce dossier, la cour d’appel de Bruxelles s’était déjà emparée de la jurisprudence de la Cour de cassation pour donner raison à un autre contribuable confronté au refus du fisc d’imputer la QFIE. Dans un arrêt du 20 septembre 2018, la cour d’appel bruxelloise s’est en effet prononcée, elle aussi, en faveur de l’application d’une QFIE de 15%.
Un nouveau pourvoi en cassation du fisc
Mais au lieu de se soumettre à cette mise en pratique de la jurisprudence de la Cour de cassation, « l’administration a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 septembre 2018″, peut-on lire dans la réponse du ministre précitée, qui est datée du 27 septembre. Autrement dit, le fisc a décidé de jouer la montre car on ne voit pas pourquoi la Cour de cassation reviendrait sur sa position.
« Ce recours est difficilement compréhensible au regard de la position claire de la Cour de cassation en matière de QFIE », estime Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés.
En attendant, le fisc continuera à refuser l’imputation de la QFIE. « La position de l’administration demeure inchangée dans l’attente de l’arrêt de la Cour de cassation », précise en effet le ministre des Finances.
En pratique, que faire?Les spécialistes du droit fiscal recommandent aux Belges qui perçoivent des dividendes français d’introduire une réclamation à l’administration fiscale à titre conservatoire, en demandant le remboursement des 15% d’impôt français. Le but est de faire valoir ses droits dans l’attente des décisions de la cour d’appel d’Anvers et de la Cour de cassation qui, si elles sont toujours bien favorables aux contribuables, devraient, cette fois, faire plier l’administration fiscale. « Il est vivement recommandé aux contribuables ayant perçu des dividendes français ces dernières années de solliciter le remboursement de la QFIE auprès des autorités fiscales compétentes et, si possible, avant le 31 décembre 2019« , souligne Me Grégory Homans (Dekeyser & Associés). La réclamation peut être introduite facilement via le site www.myminfin.be. Dans la rubrique « Ma déclaration et mes impôts » se trouve un lien « Introduire et consulter une réclamation ». En cliquant ensuite sur « Introduction litiges électroniques », on peut choisir l’exercice d’imposition pour lequel on réclame l’application de la QFIE. Rejet ou suspension de la réclamationFrançois Parisis, directeur du département d’ingénierie patrimoniale et fiscalité de la Banque Transatlantique Belgium, recommande d’exercer ce recours pour l’exercice d’imposition 2015 car les précomptes prélevés à l’époque (durant l’année civile 2014) seront prescrits fin 2019. « Par contre, mieux vaut attendre pour les précomptes des années suivantes« , conseille-t-il. « Car si l’administration rejette la réclamation, il faut entamer une procédure judiciaire pour contester ce rejet, sans quoi on ne pourra plus obtenir gain de cause ultérieurement, même si le fisc change sa position ensuite. Or, les contribuables belges hésitent à aller en justice car les frais peuvent être plus élevés que le remboursement de précompte réclamé. Ils préfèrent aussi ne pas apparaître au grand jour. Enfin, certains craignent des représailles. » Toutefois, au sein de l’administration fiscale, certains bureaux de taxation ne prononcent pas de décision de rejet de la réclamation mais suspendent leur décision dans l’attente de l’issue des procédures judiciaires en cours à Anvers et devant la Cour de cassation. « Si un contribuable qui a réclamé pour 2015 reçoit une telle décision, il peut, sans problème, introduire une autre réclamation pour tous les exercices d’imposition après 2015 car ses droits seront préservés » grâce à cette position du fisc et ce, sans devoir agir en justice, explique François Parisis. Par contre, si le contribuable n’a pas la chance de tomber sur un bureau de taxation aussi prévenant et qu’il reçoit une décision de rejet de sa réclamation, il faudra attendre fin 2020 pour réclamer pour l’exercice 2016, puis fin 2021 pour réclamer pour 2017, et ainsi de suite. « En espérant que, dans l’intervalle, la cour d’appel d’Anvers et la Cour de cassation auront infléchi la position de l’administration », précise François Parisis. Agir étape par étapeCe saucissonnage des recours année par année permet d’éviter qu’une décision de refus d’un recours unique pour toutes les années n’empêche le contribuable de pouvoir faire valoir ses droits pour ces exercices une fois que le fisc sera contraint de se plier à la jurisprudence de la Cour de cassation. Me Grégory Homans conseille lui aussi d’agir de la sorte, étape par étape: « Il pourrait être prudent d’introduire une réclamation concernant l’application de la QFIE pour les dividendes perçus en 2014 (exercice d’imposition 2015, ndlr)« , explique-t-il. « Si l’administration la rejette, rien n’empêchera le contribuable d’introduire des nouvelles réclamations pour les dividendes perçus à partir de 2015 et ce, après que la cour d’Anvers ait rendu son arrêt. » Et si on a la chance de tomber sur un bureau de taxation conciliant? « Si l’administration suspend le traitement de cette réclamation jusqu’à la décision de la cour d’appel d’Anvers, l’investisseur pourra compléter sa réclamation ultérieurement », confirme Me Homans. Les Belges qui ont perçu des dividendes français depuis 2014 sont donc ainsi bien au courant de la marche à suivre. |
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