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L’extension de la taxe Caïman risque de poser plusieurs problèmes juridiques

Publié le 5 février 2019

Une catégorie résiduelle de structures étrangères soumises à la taxe a été instaurée par arrêté royal. Selon l’avocat Grégory Homans, le gouvernement pourrait avoir outrepassé ses compétences.

 

Depuis le début de l’année, la taxe sur les constructions juridiques à l’étranger, également appelée taxe de transparence ou taxe Caïman, dispose d’un champ d’application élargi.

Premièrement, les fonds d’investissement dédiés sont désormais visés par la taxe Caïman. Deuxièmement, les entités hybrides entrent également dans son champ d’application. Celles-ci se définissent comme des entités qui n’ont pas de personnalité juridique dans le pays étranger où elles ont leur siège social mais qui sont considérées comme des entités dotées d’une personnalité juridique dans le pays de résidence des associés, en l’occurrence la Belgique.

Enfin, la troisième extension de la taxe consiste en l’introduction d’une catégorie résiduelle de structures visées. À l’origine, en ce qui concerne les structures juridiques établies dans l’Espace économique européen, la taxe Caïman visait spécifiquement des structures luxembourgeoises et liechtensteinoises. Cette catégorie a été supprimée: la taxe ne vise désormais plus nommément ces structures mais une catégorie résiduelle a été créée. Dans cette catégorie, on trouve toute société, hors fonds d’investissement dédiés et entités hybrides, dotée de la personnalité juridique, qui n’est soit pas soumise à un impôt sur les revenus (société exonérée de taxes), soit faiblement taxée.

Ce critère de faible taxation est précisé dans le texte qui étend le champ d’application de la taxe: les sociétés qui, sur la base d’une assiette belge comparable, paient moins de 1% d’impôts sur les revenus, sont désormais soumises à la taxe Caïman.

 

« Cela crée une certaine insécurité juridique, estime Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés. Comment appliquer les règles belges à une société étrangère? Faut-il faire une application théorique ou pratique de ces règles? Par exemple, en matière de frais déductibles, peut-on les appliquer tels quels ou faut-il vérifier si tous ces frais répondent aux critères prévus en droit belge? La nouvelle mouture de la taxe est floue à ce sujet.

« Par arrêté royal, l’exécutif crée une nouvelle catégorie pour la taxe. Il va trop loin. » Grégory Homans Avocat Dekeyser & Associés

 

Inconstitutionnalité?

L’extension de cette taxe risque de soulever d’autres questions. Me Homans s’interroge notamment sur la validité de l’introduction d’une catégorie résiduelle de structures visées: « La taxe Caïman a été établie par une loi. L’arrêté royal de 2015 qui visait les structures juridiques luxembourgeoises et liechtensteinoises a été remplacé par un arrêté royal du 21 novembre 2018 qui crée cette catégorie résiduelle. Or, en principe, un arrêté royal ne peut pas créer une nouvelle catégorie de structures visées: il peut préciser les structures concernées ou apporter des clarifications à leur sujet. Le gouvernement ne peut pas prendre un arrêté qui crée une nouvelle catégorie. Pourtant, c’est ce qu’il semble faire ici: il ne se contente pas de compléter la liste, il la remplace par une catégorie résiduelle. En conclusion, il va trop loin. »

Prolongeant ce raisonnement, Me Homans se demande si l’arrêté royal n’est pas anticonstitutionnel. « La Constitution instaure une séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif, rappelle-t-il. L’impôt doit être prévu par une loi, adoptée par le législateur et le rôle de l’exécutif doit se limiter à l’application de cette loi et non à une extension de l’impôt. »

Selon ce spécialiste du droit fiscal, l’extension de la taxe Caïman pourrait aussi poser problème au regard du principe de libre circulation des capitaux qui prévaut dans toute l’Union européenne: « Prenons l’exemple d’une société holding belge qui détient une sous-holding établie au Grand-Duché de Luxembourg: les revenus de cette dernière bénéficient du régime RDT (revenus définitivement taxés, NDLR) en Belgique, au moment où ces revenus sont reversés à la holding belge. À présent, imaginons que la holding, dont l’actionnaire est un contribuable belge, soit basée au Luxembourg, tout comme la sous-holding. Dans ce cas, la holding luxembourgeoise bénéficiera des RDT au Grand-Duché et ne sera donc pas taxée non plus. Mais en cas d’application stricte et littérale du nouveau texte de la taxe Caïman, l’actionnaire belge pourrait être redevable de cette taxe, dans certaines circonstances, puisque sa holding luxembourgeoise devient une structure dont le revenu n’est pas taxé. » Cette situation serait de nature à entraver la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement puisque la loi belge découragerait ses résidents de créer des sociétés holdings dans d’autres pays de l’Union européenne.

« Cela crée une insécurité juridique énorme. Comment appliquer les règles belges à une société étrangère? Faut-il faire une application théorique ou pratique de ces règles? » ou pratique de ces règles? » Me Grégory Homans avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés

Enfin, Me Homans évoque une solution pour les Belges qui détiennent une société au Grand-Duché, dont les bénéfices n’atteignent pas 1%: « Chaque année, il faudrait faire un audit pour vérifier si, au regard du droit belge, l’impôt atteindrait au moins 1% et, si tel n’est pas le cas, il conviendrait d’aménager sa situation pour rencontrer ce seuil, par exemple en renonçant à une déduction fiscale, explique-t-il. Il en existe beaucoup au Luxembourg. Le Service des décisions anticipées a déjà validé en 2015 le fait que le bénéfice de déductions fiscales est facultatif. » Avec la taxe Caïman, les fiscalistes auront du travail cette année…

 

Source : L’Echo 

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