Publié le 16 février 2019
La réforme des régimes matrimoniaux a introduit une série de correctifs dans le régime de séparation de biens. Mais apparemment, les couples ne sont pas intéressés par ces mécanismes optionnels qui modifient le scénario financier en cas de séparation ou de décès. Pourquoi? Existe-t-il d’autres façons de protéger son conjoint?
Même si c’est rarement le genre de choses auxquelles on pense en priorité lorsqu’on rencontre quelqu’un ou que l’on décide de partager sa vie, le mode de conjugalité pour lequel on opte, délibérément ou non, n’est pas sans incidence. Surtout si la relation évolue. On s’installe et/ou on achète un bien ensemble, on a un enfant (commun ou non), on hérite d’une somme importante, on se sépare, l’un des deux meurt…
Tout cela pour dire qu’au fil du temps, le « système » dans lequel on s’était installé n’est plus forcément adapté. Le fait d’être marié dans l’un ou l’autre régime ou cohabitant légal peut singulièrement changer la donne ou la compliquer si ce choix initial ne correspond pas ou plus à vos besoins, vos choix de vie et vos priorités. Et cela peut réserver de désagréables surprises, principalement en cas de rupture ou de décès, des scénarios que l’on envisage rarement de prime abord…
Certains n’envisagent pas autre chose que la séparation de biens, simplement pour mettre leur famille à l’abri parce qu’ils sont indépendants ou parce qu’ils sont convaincus que ce régime consacre en quelque sorte l’émancipation et la liberté dans le couple: chacun ses sous et son petit business. Sauf que quand la vie prend une tournure imprévue ou évolue tout simplement et qu’un déséquilibre financier s’instaure insidieusement entre les partenaires, ce choix peut avoir de fâcheuses conséquences.
La séparation de biens mâtinée de solidarité
La réforme du droit matrimonial qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2018 (en même temps que la réforme du droit successoral), vise notamment à introduire des correctifs pour renforcer l’équilibre et la solidarité entre les partenaires et garantir la protection du plus faible (financièrement) des deux lorsque la relation prend fin (décès, divorce).
Les dispositions les plus marquantes concernent le régime de la séparation de biens. « À la base, Koen Geens (ministre de la Justice, CD&V à l’origine de la réforme) voulait carrément supprimer le régime de la séparation de biens qu’il jugeait trop égoïste et inégalitaire, rappelle le notaire Jean Martroye. Une vision typique d’une époque où l’épouse ne travaillait souvent pas et se retrouvait dans une situation dramatique en cas de divorce à 50 ou 60 ans, avec rien sur son compte », estime-t-il.
In fine, quelles sont les nouveautés?
Les époux qui optent pour le régime de séparation de biens pouvaient déjà le compléter ou y déroger par convention. Désormais, des mécanismes de correction sont encadrés par la loi.
Un dispositif modèle de clause de participation aux acquêts en vertu de laquelle, à la dissolution du mariage, le conjoint économiquement le plus solide paiera une compensation financière au conjoint le plus faible. « Durant le mariage, les époux ont bien chacun leur patrimoine propre, mais lors de la dissolution du mariage (divorce, décès), un décompte est réalisé. Si un époux s’est enrichi de 300 et l’autre de 100, la différence (200) constitue les acquêts que le couple peut décider à l’avance de répartir à sa guise entre époux. Rien n’empêche le couple de décider que l’un d’eux aura droit à 100% des acquêts ou que ce sera 50/50 », explique Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés.
Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y parait, ajoute Jean Martroye. « Il faudra en effet dresser un inventaire du patrimoine en prenant une ‘photo’de la situation au jour du mariage et au jour de sa dissolution afin de comparer ». Le notaire précise que « si le couple refuse de prévoir la participation aux acquêts à la signature du contrat, ils peuvent prévoir, de façon conventionnelle, de se laisser la possibilité de décider plus tard ».
Et comment déterminera-t-on l’enrichissement de couples déjà mariés depuis longtemps? « Dans ce cas, il est généralement préférable, dans une perspective de planification patrimoniale, de déterminer la situation de base comme étant celle des époux lors du mariage et non celle au jour de l’insertion de la clause de participation aux acquêts. L’exercice peut s’avérer compliqué, mais la bonne volonté du couple permet souvent de dépasser les difficultés », suggère Me Homans. Lequel ajoute que « si les époux résident en Région wallonne ou en Région bruxelloise, le conjoint survivant sera exonéré d’impôt successoral sur cette attribution (sauf s’agissant de l’attribution d’un immeuble). En Flandre, le conjoint survivant sera redevable de droits de succession sur cette attribution, mais des alternatives existent ».
Il faut être attentif à la formulation. « Il est déjà arrivé que la photographie inclue tout ce qui était rentré par donation et par succession. Des parents qui ont fait une planification successorale pourraient voir d’un mauvais oeil que certains biens reviennent de ce fait à leurs beaux-enfants, même s’ils les apprécient », met en garde Jean Martroye.
La réforme a également créé un mécanisme de correction judiciaire en équité, permettant, en l’absence d’une clause de participation aux acquêts, à l’époux qui s’estimerait lésé lors de la dissolution du mariage, de saisir le tribunal pour obtenir une indemnisation de l’autre conjoint. Pour en bénéficier, « le mariage doit être dissous pour cause de désunion irrémédiable et l’époux qui s’estime lésé doit établir que les circonstances se sont modifiées de manière imprévue depuis le mariage, entraînant des conséquences manifestement inéquitables pour lui », souligne Me Homans.
Correctifs optionnels
Ces correctifs sont optionnels. Et cela fait beaucoup d’informations supplémentaires à intégrer à un moment où l’on n’est pas franchement porté à imaginer le pire. Résultat, environ six mois après l’entrée en vigueur de ces réformes, les professionnels constatent que ce type de « deal » préalable ne trouve pas son public.
« L’objectif est louable et très beau sur papier mais on tombe dans un système où les gens sont tellement encadrés qu’ils ont le sentiment de perdre toute liberté, commente Renaud Grégoire, notaire à Moha. Il n’est déjà pas facile de faire comprendre les différences entre les régimes matrimoniaux, alors si on doit amener les gens à se projeter dans une situation de divorce ou de décès, c’est très compliqué. »
Son collègue bruxellois Jean Martroye confirme. « La majorité des couples que je reçois savent très bien ce qu’ils veulent. Et lorsqu’on leur explique qu’ils peuvent changer d’avis, c’est quasiment toujours pour aller dans le sens de la séparation de biens. Et s’ils choisissent ce régime, c’est en connaissance de cause, parce qu’ils veulent que tout soit bien dissocié. »
Ces correctifs n’intéressent pas vraiment les futurs époux, poursuit Renaud Grégoire. « Il est très difficile de les amener à se projeter dans des scénarios à long terme et négatifs. Dans ce cas, leur réaction est de dire qu’ils n’ont pas besoin de ça et qu’ils s’arrangeront au besoin entre eux ».
Un notaire ne va pas forcément donner d’emblée des conseils d’optimisation dans le cadre d’une planification patrimoniale ou successorale. « Les couples ne connaissent généralement pas tous les tenants et aboutissants de leurs choix. Si leur conseil ne leur explique pas que, via une clause de participation aux acquêts, le conjoint survivant pourra recueillir une partie du patrimoine familial en totale exonération d’impôt, le couple aura naturellement tendance à aller vers la solution la plus simple (à comprendre) », épingle Grégory Homans.
Jean Martroye reste persuadé que l’on peut vivre en séparation de biens sans pour autant aboutir à un déséquilibre. « La loi dit que chacun est censé participer aux charges en fonction de ses facultés, pas de ses revenus. Vous pouvez avoir un compte commun sans forcément y verser chacun le même montant. C’est déjà une manière de rééquilibrer les choses. De la même façon, on peut parfaitement acheter un bien à deux. Chacun récupérera dans ce cas la moitié à la dissolution du mariage ».
Protection du conjoint
Il n’est jamais trop tard pour bien faire si vos priorités et vos choix de vie ont changé. Chaque année, les notaires reçoivent de très nombreux couples désireux d’adapter leur contrat de mariage ou de changer de régime matrimonial.
Ces modifications connaissent un pic aux alentours de 55-65 ans, a révélé le baromètre « famille » des notaires, publié cette semaine. « À cet âge-là, on intègre plus facilement la possibilité d’un décès, on a une image plus claire de sa situation familiale et de la façon dont on souhaite régler les choses », explique le notaire Martroye. Et une tendance émerge clairement: les couples d’âge mûr souhaitent léguer davantage à leur conjoint que ce qui est prévu par la loi.
« En particulier dans les familles recomposées, où, si on a des craintes vis-à-vis d’un enfant ou d’une ‘pièce rapportée’, on souhaite que le conjoint survivant puisse garder la maîtrise de tout, explique Renaud Grégoire. Compte tenu de l’espérance de vie, la perspective de vivre 20 ans seul et de devoir partager tous les avoirs avec les enfants fait réfléchir! On modifie alors le contrat de mariage pour protéger le conjoint survivant. Je suggère dans ce cas de prévoir une attribution totale du logement familial au conjoint survivant. Il ne paiera ainsi aucun droit de succession… tandis que les enfants en paieront davantage. Cette solution résulte de la priorité accordée à la protection du conjoint survivant. »
« À l’inverse, on a aussi des cas plus rares de couples qui avaient initialement prévu une forte protection avec une clause ‘au dernier vivant tous les biens’ et qui finalement atténuent cette formule, conscients qu’elle sera pénalisante fis,calement », conclut Renaud Grégoire.
L’assurance-vie au dernier vivant, l’un des « musts » pour protéger le conjoint survivant
Nombreux sont les couples qui ont souscrit une assurance-vie dans le cadre d’une planification patrimoniale horizontale (entre conjoints), observe Grégory Homans, avocat au cabinet Dekeyser & Associés.
Dans quel but?
Le couple souhaite que son patrimoine (ou une partie de celui-ci) revienne dans un premier temps exclusivement au conjoint survivant, puis aux enfants au décès du second époux. Comment faire? Des époux souscrivent une assurance-vie dont ils sont à la fois les preneurs et les assurés. Leurs enfants sont les bénéficiaires et ne recueilleront les capitaux assurés qu’après le décès des deux parents.
Au décès du premier, le survivant devient l’unique titulaire du contrat. Si chacun des époux avait versé 50 dans l’assurance, le survivant se retrouve titulaire d’une police d’une valeur de 100, dont il peut en théorie disposer librement. Un bel enrichissement. Traitement fiscal
« Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, le conjoint survivant sera, moyennant certaines conditions, exonéré de tout impôt successoral sur cet enrichissement, et ce indépendamment de son régime matrimonial », indique l’avocat spécialisé en fiscalité et en planification.