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Taxe Caïman : Nouvel imbroglio juridique en vue?

Publié le mercredi 13 juin 2018 à 06h50

Le champ d’application de la taxe Caïman a (encore) été modifié. Les OPC privés et fonds dédiés sont visés. C’était prévu. La détention d’un bien immobilier en société en France soulève le débat.

La complexité nuit en tout. C’est la morale de l’histoire belge suivante qui concerne la taxe Caïman, encore appelée taxe de transparence.

Le gouvernement, lors du Conseil des ministres du 8 juin, a pris la décision d’étendre le champ d’application de cette fameuse taxe qui, depuis son introduction en 2015, n’en finit pas de susciter les polémiques, juridiques et/ou budgétaires.

On s’y attendait et cela a été entériné : d’abord, la taxe Caïman est étendue aux organismes de placements collectifs (OPC) privés et aux fonds dédiés, très prisés au Sud de la Belgique. Ensuite, le projet d’arrêté royal prévoit de viser aussi  » les sociétés qui ne sont pas considérées transparentes par le droit fiscal belge, mais bien considérées fiscalement transparentes conformément au droit fiscal de l’Etat membre de l’Espace économique européen (EEE) dans lequel ces sociétés sont établies.  » Et c’est là que les Romains s’empoignèrent.

Le cas des SCI françaises

En soi, on pourrait penser que le nouvel arrêté royal va permettre de mieux viser encore toutes les constructions juridiques offshore des contribuables belges. Ce n’est pas l’avis de tout le monde. Pour Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser&Associés,  » les sociétés civiles immobilières de droit français (SCI) (qui sont très répandues parce que poussées par les notaires français, NdlR) peuvent être qualifiées de sociétés hybrides : elles sont transparentes sur le plan fiscal en France, mais pas en Belgique et ce, depuis deux arrêts des chambres francophone et néerlandophone de la Cour de cassation de 2016 et 2017. Dès lors, poursuit le spécialiste , suite à la décision gouvernementale d’étendre le champ d’application de la taxe Caïman, les SCI pourraient désormais être visées. Cela invaliderait l’enseignement de la Cour de cassation « .

Pour faire simple, selon lui, via la transparence instaurée dans le cadre de la taxe Caïman, l’administration belge serait ainsi contrainte de reconnaître la transparence fiscale des SCI.  » Si cette extension se confirme, cela permettra au propriétaire belge d’un immeuble français par le biais d’une SCI d’éviter d’être doublement taxé sur les revenus sortis de la SCI , poursuit Grégory Homans. En effet, par l’application de la taxe Caïman, le résident belge actionnaire d’une SCI sera taxé sur les revenus fonciers français comme s’il était directement propriétaire de l’immeuble français.. Les revenus immobiliers français seront ainsi exclusivement imposables en France (sous réserve de progressivité). Fin de la double imposition pour les résidents belges propriétaires d’immeuble(s) en France par le biais d’une SCI ! « 

En d’autres mots, par transparence, vu l’intégration dans le champ d’application de la taxe, le fisc belge ne pourrait plus considérer que les revenus immobiliers sont taxés dans le chef de la SCI en France, et taxés comme dividendes à l’impôt des personnes physiques en (IPP) en Belgique. La base de l’argumentation de la Cour de Cassation est en effet que ces revenus s’adressent à deux types de contribuables (personnes morales – SCI – et personnes physiques). Si la transparence joue, le fisc ne pourrait donc plus considérer l’IPP puisque le propriétaire serait censé détenir directement le bien immeuble. « Si la SCI est visée par la taxe caïman, les revenus distribués sont en principe taxables comme des dividendes (sur ce point là, l’arrêt de la cassation reste valable), explique Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law). Mais si les bénéfices distribués par la SCI ont déjà été visés à la taxe caïman (revenus immobiliers de source française, exonérés sous réserve de progressivité), le dividende recueilli par le résident belge est exonéré en vertu d’une disposition spécifique anti-double imposition « .

En reconnaissant la transparence fiscale via la taxe Caïman, le fisc belge ne pourrait donc plus taxer les revenus éventuels tirés de la SCI. Mais in fine, comment seraient dès lors traités ces fameux revenus locatifs ?  » Ces revenus ne seront pas taxés en Belgique. L’actionnaire de la SCI devra toutefois les reprendre dans sa déclaration fiscale belge afin que l’administration fiscale les prenne en compte pour déterminer le taux d’imposition moyen des autres revenus du contribuable soumis au taux d’imposition progressif. C’est ce qu’on appelle la réserve de progressivité « , explique Grégory Homans.

« Mauvaise interprétation », dit Van Overtveldt

Contacté, le cabinet du ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) ne suit absolument pas ce raisonnement.  » Le projet d’arrêté royal qui a été approuvé par le Conseil des ministres ne change rien au régime fiscal des SCI. Rien ne change par rapport à l’arrêté royal du 18 décembre 2015, qui n’était pas d’application pour la société française SCI.  » Denis-Emmanuel Philippe, avocat chez Bloom Law, nuance le propos.  » Les entités hybrides étaient déjà visées par l’arrêté royal du 18 décembre 2015, lorsqu’elles recevaient des revenus d’origine belge non taxables en Belgique. Or, en pratique, la SCI française recueille des revenus immobiliers de source française. Elle n’était donc en principe pas visée par la taxe Caïman. La donne va désormais changer. Le nouveau projet d’arrêté royal est plus large, puisqu’il vise toutes les entités hybrides, y compris celles qui recueillent des revenus de source étrangère (revenus d’immeubles à l’étranger, revenus d’un portefeuille de valeurs mobilières étrangères). Cette extension fera à mon avis le bonheur des milliers de Belges qui détiennent des SCI françaises. « 

Bruno Ferrier, fiscaliste chez Puilaetco Dewaay, et Sabrina Scarna (Tetra Law), doutent de cette interprétation.  » Ce qui est certain, c’est qu’on rajoute une nouvelle couche de complexité à un texte qui a déjà pas mal évolué, et qui a déjà suscité beaucoup de questionnements juridiques . Il est possible en effet que la position de la Cour de cassation soit remise en cause, mais cela demanderait une analyse juridique approfondie « , conclut Bruno Ferrier.

A SAVOIR:

La taxe Caïman est un « texte maudit ». La première version du texte en 2015 avait des « trous comme des maisons », pour reprendre l’expression des experts. Il a évolué… à plusieurs reprises, et a à chaque fois suscité des interrogations. Sur le plan budgétaire aussi, l’opposition estimant que jamais le rendement de plus de 500 millions d’euros par an ne sera atteint. Le cas de la Société civile immobilière française soulevé ici pourrait aussi prêter le flanc à la critique. « La difficulté de la matière tient au fait que la législation belge ne connaît pas la notion de translucidité fiscale (à ne pas confondre avec la transparence fiscale) auxquelles sont soumises, en France, les SCI » , estime Bruno Ferrier (Puilaetco Dewaay).

Gestion patrimoniale: pourquoi la SCI est très prisée des contribuables

Société civile immobilière. Trois mots pour un type de société régulièrement utilisé par les Belges qui ont posé leurs pénates en France. Dans quelles proportions ? Difficile à dire. Le SPF Finances ne dispose pas de chiffres. Les experts contactés, eux, disent que la SCI est « courante ». Et pour cause. La SCI est un outil de gestion patrimonial relativement intéressant, très prisé des Français et « poussé » par les notaires outre-Quiévrain. D’abord, elle permet de contourner le problème de l’indivision. Si l’un des propriétaires réels meurt, le bien immobilier continue d’appartenir à la SCI, que les « propriétaires » encore vivants soient d’accord ou pas. Les héritiers du défunt touchant naturellement leur part. Ensuite, la SCI est intéressante parce que le régime fiscal est pour le moins favorable… pour les détenteurs français. Pour les Belges, la situation était plus compliquée vu les décisions défavorables de la Cour de cassation en 2016 et 2017. « Enfin, la plus-value réalisée par un résident belge lors de la vente de sa SCI est généralement exonérée d’impôt français« , précise Grégory Homans (Dekeyser & associés), ce qui présente un avantage considérable. L’expert attire toutefois l’attention sur le fait que le traité fiscal conclu entre la France et la Belgique en 1964 est en cours de renégociation !

Source : La Libre 

Taxe Caiman - nouvel inbroglio juridique en vue

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