Dans son projet de réforme de l’impôt des sociétés, le gouvernement veut mettre fin à un régime jusqu’ici très favorable, celui de la réduction du capital par remboursement aux actionnaires.
« In cauda venenum », dit l’adage. Ce qui signifie que c’est souvent en fin de parcours que surgissent les mauvaises surprises. C’est ce que risquent de penser certains actionnaires lorsqu’ils apprendront que dans son projet de réforme de l’impôt des sociétés, le gouvernement entend taxer les réductions de capital. Une décision qui a de quoi surprendre dans la mesure où il n’en a jamais été question au cours des deux dernières années, lorsque les spéculations sur l’issue de la réforme allaient bon train.
De quoi parle-t-on? Il existe différentes manières de sortir de l’argent d’une société. Parmi celles-ci, il y a la réduction du capital par remboursement aux actionnaires.
Jusqu’à présent, ce processus permet aux actionnaires de sortir des biens de la société en exonération d’impôt. Il est nécessaire pour cela que la réduction porte exclusivement sur du « bon capital » au sens fiscal. « Il s’agit de biens que l’actionnaire a transférés de son patrimoine privé vers celui de la société lors de la constitution de celle-ci ou à l’occasion d’augmentations de capital ultérieures », indique Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés. Le procédé est utilisé tant par des grands groupes que par des modestes PME.
Ce régime favorable devrait changer. En effet, dans le cadre de la réforme de l’impôt des sociétés, il est prévu que la réduction de capital d’une société s’imputera obligatoirement en partie sur les (éventuels) bénéfices réservés et en partie sur le capital réellement libéré. La partie du remboursement de capital prélevée sur les bénéfices réservés constituera un dividende et sera soumis au précompte mobilier de 30% dans le chef de l’actionnaire.
Un exemple pour mieux comprendre le mécanisme
Une société dispose d’un capital de 100 et d’une réserve taxée de 50. Elle décide d’opérer une réduction de capital de 20. Dans l’ancien régime, elle imputait la réduction sur le capital qui était de la sorte ramené à 80. Mais aucun impôt n’était prélevé. Dans le nouveau régime, la société devra fiscalement imputer 13,2 sur le capital (qui passe à 86,8) et 6,8 sur la réserve taxée (qui passe à 43,2). Les 6,8 imputés sur la réserve taxée seront précomptés à 30% dans le chef de l’actionnaire.
Interrogations multiples
Si la manière dont la mesure sera transposée dans le Code des impôts sur les revenus n’est pas encore définie, cette annonce suscite d’ores et déjà plusieurs interrogations.
Premièrement, « cette nouvelle mesure contraste par rapport à d’autres mesures visant au contraire à encourager la capitalisation des sociétés », souligne Grégory Homans. C’est notamment le cas des intérêts notionnels et du régime « thin capitalisation » qui ont permis d’attirer des centres de trésorerie en Belgique. Ceci pose donc une question de cohérence.
Deuxièmement, ce changement de cap risque d’avoir des conséquences économiques fâcheuses. Si certaines sociétés ont opté pour de fortes capitalisations, c’est le plus souvent pour des raisons économiques (obtenir des emprunts bancaires, attirer de nouveaux actionnaires, etc.). « Le nouveau système risque de pousser certaines entreprises à revoir fondamentalement leur stratégie. Selon les modalités d’entrée en vigueur de la réforme de l’impôt des sociétés, il est possible d’assister d’ici au 31 décembre 2017 à un mouvement massif de sociétés désireuses de réduire leur capital », prévient Grégory Homans.
Doit-on dès lors craindre que des grands groupes ne décident de partir avec armes et bagages? « Il est difficile de se prononcer. Ce qui est sûr, c’est que cette réforme aura une incidence sur la stratégie des grands groupes qui ont notamment pris en compte la possibilité de pouvoir sortir des fonds de la société en exonération d’impôt par le biais de réduction de capital », note l’avocat-fiscaliste.
Or certaines sociétés ont transféré leur siège social de l’étranger en Belgique pour pouvoir profiter du régime fiscalement indolore applicable aux réductions de capital. Ce qui crée des dynamiques économiques.
Troisième et dernier écueil, le fisc mélange de manière abusive les aspects comptables et fiscaux en ce qu’il assimile une réduction de capital à une distribution de bénéfice, alors qu’il s’agit de deux concepts fondamentalement différents. « Le gouvernement entend instaurer une fiction fiscale, qui entraînera une dichotomie entre le plan comptable et le plan fiscal. Pareille dichotomie existe en droit luxembourgeois qui connaît un traitement fiscal encore plus sévère en matière de réduction de capital, fait remarquer Grégory Homans. Au Luxembourg en effet, la réduction de capital s’impute prioritairement sur les bénéfices réservés. »
Jean-Paul Bombaerts, le 24 août 2017
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